Anniversaire
Bécane et cinoche : 130 bougies au compteur
La moto et le cinéma sont presque jumeaux puisque nés tous deux en 1895. Le premier film fut tourné le 19 mars 1895 par les frères Lumière pendant que d’autres frères, les Werner, planchaient sur la première motocyclette dotée d’un moteur à essence et, surtout, de freins.
Il s’agit donc bien d’une histoire de fratrie. Mais, comme dans la plupart des familles, les enfants terribles ne se ressemblent pas vraiment et leurs amours épisodiques ont souvent tendance à nous surprendre.
Terribles mais drôles
Leurs premiers pas s’effectuèrent ensemble. Et plutôt joyeusement. Dès 1912, dans les comédies de Mack Sennett, les poursuites des « Keystone Cops », ces fameux flics américains juchés sur des Indian ou des Harley-Davidson (firme fondée en 1903) ont beaucoup contribué à la renommée de la compagnie Sennett pendant l’âge d’or du cinéma burlesque américain.
Le grand délire arrive plus tard avec Stan Laurel et Oliver Hardy. En 1929, dans le film Two Tars (V’la la flotte), nos deux joyeux compères, qui incarnent des marins en permission, détruisent méthodiquement les voitures bloquées par un embouteillage. Survient un flic qui béquille posément sa Harley au milieu de la route pour entreprendre d’arrêter le massacre. Un camion déboite et roule sur la moto, la transformant en feuille de métal.
Des gags, encore des gags avec les Marx Brothers. Léo Mac Carey réalise en 1933 La soupe au canard (Duck Soup), dans lequel on voit Harpo sautant dans un side-car (« panier » dans le jargon motard) attelé à une Harley pilotée par Groucho. Celui-ci démarre en trombe, laissant sur place le pauvre Harpo tranquillement installé dans le panier.
Un autre comique américain, W.C. Fields, conduit un étrange engin dans The big Broadcast (1938). Sa machine ressemble à un scooter et sa propulsion est assurée par une hélice d’avion à l’arrière. Deux petites ailes peuvent se déployer et le convertir en avion. W.C. Fields l’utilise sur un green de golf pour gagner du temps. Son parcours achevé, il presse un bouton et s’envole pour atterrir sur un paquebot au milieu de l’océan Atlantique.
Moto rebelle
L’Amérique nous livre en 1953 un classique du genre qui deviendra rapidement un mythe viril à part entière : L’équipée sauvage (Laslo Benedek) dans lequel la belle et indomptable Triumph Thunderbird 6T acceptait un mariage de déraison avec Marlon Brando pour former un couple d’enfer.
A tel point que la violence et la noirceur sociale du film lui vaudront d’être interdit au Royaume-Uni jusqu’en 1966.
A propos d’enfer, Les anges de l’enfer (The Wild Angels) débarquent en 1966 pour soulever la terreur dans un petit village américain.
Peter Fonda et Mary Sinatra sont les principales vedettes parmi une authentique bande de loubards recrutés pour les besoins du tournage, qui donna bien des sueurs froides au réalisateur Roger Corman, pourtant spécialiste des films de frissons.
Les grands conflits inspireront deux chefs-d’œuvre : Lawrence d’Arabie (David Lean, 1963) avec Peter O’Toole et sa Brough Superior, une moto anglaise d’exception avec laquelle il aura un accident en mai 1935 qui lui coûtera la vie (c’est d’ailleurs l’intro du film). Lawrence avait reconnu que la vitesse lui procurait autant d’excitation que les combats qu’il avait menés jusqu’aux portes de Damas.
Moto liberté
La grande évasion (John Sturges, 1963) est le second long métrage. Sa scène culte est bien sûr celle où Steve McQueen saute par-dessus le grillage de la frontière avec une Triumph Trophy 650 pour voler vers la liberté.
Cette prouesse spectaculaire a été réalisée par Bud Ekins, cascadeur professionnel, et non par Steve comme certains persistent à le croire encore aujourd’hui. Mais comment Steve a-t’il pu se procurer une Triumph sur le sol allemand ? La production de motos était alors essentiellement assurée par BMW et Zündapp, cette dernière firme ayant même doté la Wehrmacht de 750 cm3 avec marche arrière pour la campagne de Russie.
On passera sur le navrant Roustabout (L’homme à tout faire, 1964) avec un Elvis Presley désœuvré poussant la chansonnette et sa rutilante Honda CB 77 de 300 cm3 au gré des fêtes foraines.
Inspiré par le phénomène hippie, le mythe de la moto-liberté déboule en 1969 avec Easy Rider. Cette fois, Peter Fonda chevauche, une Harley chopérisée avec réservoir et casque aux couleurs des States. Il est accompagné par Dennis Hopper, réalisateur du film. Ce dernier était venu en octobre 2008 à Paris inaugurer la rétrospective que la Cinémathèque française lui avait consacrée. L’histoire relate un Road Trip tragique dénonçant moins les méfaits du LSD que la bêtise et la xénophobie des « bons citoyens » américains infatués d’eux-mêmes.
Moto gangster
Le cinéma français s’intéresse également à la moto mais pour la faire jouer au gendarme et au voleur. En 1959, tandis que Jean-Luc Godard tournait son premier long métrage, A bout de souffle - dans lequel on pouvait voir plusieurs motos (Ratier, Terrot, Motobécane, BMW et Triumph) - Claude Sautet réalisait Classe tous risques.
On y suivait la fuite d’un gangster sur une belle Italienne : une Moto Guzzi Falcone 500.
Dans un registre beaucoup moins dramatique, Les motards (Jean Laviron, 1959) nous relate les démêlés de Roger Pierre, motard de la police nationale, avec son beau-frère, motard zazou et gaffeur, interprété par Jean-Marc Thibault. Pour l’anecdote, la fameuse réplique de drague « c’est à vous ces beaux yeux ? » provient de ce film… bien de chez nous.
Dans L’homme de Rio (Philippe de Broca, 1964), Jean-Paul Belmondo, infatigable Tintin des temps modernes, enfourche une Triumph TRW « empruntée » à un policier pour se lancer sur le périph parisien à la rescousse de sa fiancée (Françoise Dorléac) que l’on vient de kidnapper sous ses yeux.
Jean-Pierre Melville, réalisateur spécialiste du film noir, utilise lui aussi des motos, mais pour des scènes de cascades bien plus violentes, comme dans Le deuxième souffle (1966).
La motocyclette, de Jack Cardiff, sort sur les écrans en 1968 avec Alain Delon et Marianne Faithfull, celle-ci alors en couple dans la vie avec Mick Jagger. Une jeune femme (M. Faithfull) reçoit comme cadeau de mariage une Harley-Davidson Electra Glide de son amant (A. Delon), qui l’a initiée aux plaisirs de la moto (entre autres). Elle se tuera avec en allant le rejoindre.
On retrouve notre Delon national dans Le gitan (José Giovanni, 1975). Il s’échappe cette fois d’une villa de Saint-Maur (Val-de-Marne) grâce à une Kawazaki 750 H2B (moto deux temps trois cylindres, modèle emblématique de la marque à l’époque) devant les forces de l’ordre qui l’encerclent.
Noir, très noir
Mention spéciale pour Une journée bien remplie (1973), petit bijou d’humour noir et premier film de Jean-Louis Trintignant comme réalisateur. Jacques Dufilho, froid et implacable, sillonne les routes du Gard sur une BMW R75 attelée à un side-car où sa mère a pris place. Son but : tuer méthodiquement les jurés d’assises qui ont envoyé son fils à l’échafaud.
La moto a très mauvais genre dans L’agression (Gérard Pirès, 1975). Mais faut-il vraiment se fier à l’apparence d’un blouson de cuir noir ? Les mythes ont souvent la vie dure. Outre la brillante prestation de J-L Trintignant, Catherine Deneuve et Claude Brasseur, le film est remarqué pour ses courses-poursuites entre voitures et motos. Ces dernières pilotées par de vrais champions motocyclistes : Michel Rougerie, Jean-Claude Chemarin, Jean-François Baldé et Jean-Paul Boinet. Et qui sont les beautés fatales ? Une Norton Commando, une BMW R50, une Kawazaki Z900 et une Kawazaki 500 Mach III (la plus nerveuse) affectueusement surnommée… « la faiseuse de veuve ».
Bon sang ne saurait mentir, c’est encore une Kawa Z900 que chevauche Minos, le terrifiant serial killer poursuivi par l’intrépide et coriace commissaire Letellier (Belmondo) dans Peur sur la ville (Henri Verneuil, 1975).
Sport, apocalypse... et retraite
Les documentaires de Jérôme Laperrousaz, comme Continental Circus en 1972, nous dévoilent la vie particulière sur les circuits motos, avec les grands pilotes du moment : Giacomo Agostini, Jack Findlay et Bill Ivy.
Ce dernier effectuait des doublures dans des films impliquant des motos, comme La motocyclette, décrit plus haut.
Mad Max (George Miller, 1979) tente de survivre dans un monde post-apocalyptique extrêmement violent où la notion de temps n’existe plus mais où un véhicule et de l’essence sont les seules choses qui comptent. Ce premier volet de la saga lança la carrière de Mel Gibson au guidon d’une Kawa Z1000 carénée, accompagnée de quelques consœurs nippones : Honda CB 750, Yamaka 750 XS et Honda CB 900.
Toujours dans l’univers impitoyable de la science-fiction, Terminator 2 : le jugement dernier (James Cameron, 1991) nous montre un Schwarzeneger en grande forme, sauver in extremis le jeune John Connor à l’issue d’une spectaculaire course-poursuite entre son Harley Fat Boy et un monstrueux poids lourd.
Dans Mammuth (Kervern et Delépine, 2010), Gérard Depardieu enfourche tranquillement sa colossale Münch Mammuth 1200TT, moto allemande rare car produite à moins de 500 exemplaires, pour chercher des bulletins de salaire auprès de ses anciens employeurs afin de consolider sa retraite.
Sauver le monde sinon rien
L’agent spécial Ethan Hunt, alias Tom Cruise, affectionne tout particulièrement la moto. Pas pour courir après des papiers de retraite, mais pour épouser une cause beaucoup plus noble : sauver le monde.
Dans Mission impossible : Rogue Nation, le cinquième opus de la série diffusé en 2015, il devient enfin crédible au guidon de sa BMW S 1000 RR. En effet, dans ses trois aventures précédentes, l’agent secret prêtait plutôt à sourire avec ses acrobaties plus qu’improbables sur sa Triump Speed Triple 955I. Et tout ça sans casque bien entendu.
Mais il faut rendre à César ce qui appartient à César. Trente ans plus tôt, c’était une Kawa GPZ 900 Ninja (machine la plus puissante en 1986) qui propulsait (toujours sans casque) la carrière de Tom Cruise avec Top Gun, élevé depuis au rang de film culte..
Mon coup d’œil dans le rétroviseur était bien sûr sélectif. Donc forcément réducteur vis-à-vis de nombreux autres films, sans parler de la déferlante des séries TV sur le petit écran.
Aujourd’hui, force est de constater que malgré leurs 130 bougies, la bécane et le cinoche n’ont pas pris une ride tant brille encore la flamme de la passion. Jamais de malentendu entre ces deux là qui s’entendent toujours à merveille pour faire les quatre cents coups et nous étonner. Pour le meilleur comme pour le pire.
Serge MOROY
► Quelques repères sur deux inventions françaises
Cinéma
Louis Lumière réalise une synthèse des appareils d’Etienne-Jules Marey, Thomas Edison et Emile Reynaud et dépose le 13 février 1895 un brevet pour un « appareil chronophotographique ». Finalement appelé « cinématographe », il sert aussi bien à la prise de vues qu’au tirage des films et à leur projection, et ce au rythme de 16 images par seconde.
La sortie de l’usine Lumière à Lyon est le premier film réalisé à titre expérimental par les frères Lumière un mois plus tard, le 19 mars. Il montre les portes de l’usine s’ouvrir pour laisser sortir ses ouvriers et sera projeté en séance publique le 28 décembre 1895 au Grand Café de Paris.
Moto
En 1868, l’ingénieur français Louis Guillaume Perreaux dépose un brevet pour la toute première moto. La « Perreaux » comprend un cadre vélo avec un moteur à vapeur entraînant la roue arrière et des pédales pour la roue avant.
Le Français Félix Millet planche sur une « bicyclette automobile ». Le 22 décembre 1888, il dépose un brevet pour un moteur rotatif à 5 cylindres en étoile. En 1895, il le monte sur la roue arrière d’une bicyclette, produite à quelques exemplaires.
La même année, le constructeur De Dion-Bouton commercialise un tricycle muni, pour la première fois, d’un moteur à essence. L’engin rencontre un vif succès : près de 15.000 exemplaires vendus en Europe.
Enfin, toujours en 1895, les frères Eugène et Michel Werner, Français d’origine russe, travaillent sur un vélocipède dont le moteur à essence se situe cette fois au-dessus de la roue avant. Ils l’équipent de freins et le baptisent « motocyclette » lors de son exposition au salon de Paris de 1897.
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