C'est au milieu du XIXe siècle, que Manaus, surgie de pratiquement nulle part, profite de la forte demande en caoutchouc, stimulée peu après par l'essor de l'automobile. Les capitaux viennent d'Europe et la ville se développe à une vitesse frénétique.
Demeure d'un baron du caoutchouc
Les barons du caoutchouc vivent alors dans un luxe inouï qui contraste avec le quotidien des seringueiros (qui récoltent la gomme du seringua - l'hévéa -, la plupart originaires des régions misérables du Nordeste). C'est à qui ferait le plus étalage de sa municificence en patronnant l'édification d'un bâtiment, en souscrivant pour la construction du fameux théâtre, l'un des plus beaux dans le monde, etc.
On envoyait même le linge familial en France ou en Angleterre (particulièrement en Cornouaille) pour qu'il y soit lavé: l'eau de l'Amazonie était jugée par les notables impropre à cet usage.
En revanche, aucun investissement durable comme une université, voire même un réseau d'écoles primaires, ne fut programmé: les fils des grandes familles partaient étudier en Europe après avoir bénéficié de précepteurs dans leur enfance (souvent français) et fréquenté un lycée pendant leur adolescence. Illettrés étaient les seringueiros, illettrés ils devaient le rester pour étouffer dans l'oeuf toute vélléité de conscience sociale.
Représentation symbolique du seringueiro, en général d'origine nordestine
Indiens réduits à l'esclavage par des barons du caoutchouc, libérés en 1912
Après cinquante années de forte croissance, l'hévéa des plantations de Malaisie et dans une moindre mesure d'Indonésie supplante le seringa sauvage d'Amazonie, les Anglais ayant volé et exporté illégalement des graines brésiliennes. La ville plonge durablement la ville dans le marasme économique et sa population se réduit à moins de 25.000 habitants.
Grâce à une mesure gouvernementale (le statut de zone franche), Manaus a retrouvé dans les années 70 un incontestable dynamisme : elle constituerait, selon les statistiques officielles, le troisième pôle industriel du pays, derrière São-Paulo et Rio de Janeiro (pour ma part je pencherais pour Belo Horizonte en troisième position). Manaus profite évidemment aussi de l'exploitation des produits de la forêt amazonienne (il n'est en revanche pas sûr que l'Amazonie en profite...).
Seulement, la redynamisation fut catastrophique pour le patrimoine urbain. D'affreux immeubles en béton surgirent et aujourd'hui le contraste est saisissant entre ceux-ci et les vestiges de la Belle Epoque comme on disait en français dans le texte, la plupart des notables d'Amazonie étant francophiles et beaucoup francophones.
Le climat de Manaus, quelque peu étouffant, est de type équatorial (chaud et très humide) avec une saison des pluies marquée en principe de novembre à août. Le changement climatique se fait particulièrement sentir dans la région et les pluies sont en net déficit depuis deux décennies, arrivant en retard (souvent vers décembre: trois records absolus de sécheresse annuelle au cours de ces dix dernières années, notés depuis que des relevés sont établis - à savoir depuis 1849)
Une longue saison humide et... ne pas oublier son parapluie le reste du temps!
Pour cause de réseaux sanitaires défectueux ou inexistants, chaque grosse averse inonde les quartiers défavorisés et entraîne des "protestos": les habitants excédés dressent des barricades faites de tout ce qu'ils ont perdu.
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La ville offre un visage contrasté. Mégalopole de béton au coeur de la Selva, elle a conservé nombre de monuments qui témoignent de sa gloire passée dont bien sûr le fabuleux Teatro Amazonas auquel nous consacrerons une page spécifique.
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Près du port flottant, le marché municipal déborde des limites des halles de style Baltard construit au début du XXe siècle. C'est le lieu de rencontre entre citadins, Caboclos voire Amérindiens qui vivent en forêt et sont venus vendre les produits de la nature (manioc, poissons, artisanat, produits phytothérapeutiques…), et acheter les denrées de première nécessité que ne fournit pas le milieu forestier.
Le bâtiment central du marché, entouré de halles métalliques façon "Baltard"
Dans le marché... C'est glauque à souhait, ça fait un peu "Macau l'enfer du jeu" (dominos, cartes, billard) mais on y mange pour pas cher, la bière est bonne et fraîche, l'ambiance est rudement sympa.
Mais pour certains la vie est dure...
La zone franche est une aire de libre commerce censée permettre de développer l'Amazonie centrale: elle est rapidement devenue un complexe d'intense activité commerciale et industrielle où travaillent de grandes firmes brésiliennes et étrangères qui approvisionnent le marché interne (des cargos de haute mer chargent et déchargent au pied de la zone franche). Le commerce est vigoureux, offrant des produits de haute technologie à prix relativement modéré. La plupart des entreprises se sont installées en marge de la ville même, desservies par un grand port (la célèbre transamazonienne est à peu près impraticable huit mois sur douze et très difficile le reste du temps)
Le tourisme international est en plein développement grâce au nombre croissant de personnes désireuses découvrir la faune et la flore d'Amazonie centrale. La ville possède plusieurs parcs écologiques et domaines verts, et un réseau hôt elier important dont bien sûr le légendaire Tropical Hôtel (ci-contre) qui, en plus d'être un somptueux lieu de villégiature, se visite comme un monument.
Dans le centre, près du marché de nombreux établissements modestes permettent aux touristes à petits budgets de profiter de la ville et de ses alentours. Parler portugais et savoir marchander auprès des hôtels et des entreprises du setor informal fait considérablement baisser les prix: j'ai pour ma part conclu un accord pour une excursion, et le gérant m'a fait jurer de ne dire à personne ce que je payais: effectivement, je m'en sortais avec 450 R$ quand d'autres gringos que j'ai interrogés discrètement en avaient déboursé 2.000 pour la même prestation.
Près du marché, la vieille douane (alfandega), est un superbe bâtiment en cours de rénovation (ci-dessus: au début du XXe siècle).
L'édifice n'abrite plus que des services administratifs mais en 1995 encore, il était ceinturé de murailles de containers: tout ce qui entrait et sortait de la zone franche passait par là.
Ces curieux réverbères autour de la douane ont été importés d'Europe
Les berges du fleuve (le Rio Negro) sont toujours très vivantes. C'est de là que partent les "lanchas" (les po-po-po à cause du bruit cocasse de leur moteurs) qui assurent une grande partie du trafic de fret et de passagers (compter environ quatre jours pour rejoindre Belém) C'est jovial, plein de vie, débordant d'une activité constante: marins, portefaix qui travaillent à la tâche pour charger ou décharger une lancha, échoppiers qui fournissent la nourriture, la boisson, les cordes de hamac, etc.
Les photos ont été prises en fin de saison sèche... le fleuve est au plus bas. En juillet, le niveau aura monté de 14 mètres, ce qui explique que les quais soient flottants, posés sur de grands caissons métalliques.
Non, ce n'est pas le fameux yacht de Bolloré, contrairement aux apparences.
Des dizaines de rampes sont disposées le long de la berge pour accéder aux quais flottants, et en fin de saison des pluies, l'eau arrive au ras de la digue. Les rampes sont alors ascendantes et non descendantes.
Ces portefaix vivent là pendant la saison sèche, prêts à sauter sur toute proposition de travail, depuis le déchargement d'une grande lancha jusqu'au transport de bagages familiaux sur quelques dizaines de mètres voire, à dos d'homme, de vieillards ou d'infirmes qui embarquent ou débarquent.
La digue, avec ses innombrables commerces informels. C'est aussi là qu'on trouve des gars sympas qui vous emmènent en balade pour la journée pour pas trop cher, sur de petits canots individuels, pour voir le "pontas das aguas", (la ligne de partage des eaux). Il faut quand même évaluer le risque (modéré): des touristes embarqués au diable vauvert avec des inconnus se sont fait dépouiller.
Ce soir, avec l'orage qui menaçait, le Rio Negro méritait bien son nom...
Dans chaque ville d'amazonie, il y a au moins une "maison des hamacs" près des ports.
"Un Indien dans la ville"... Il ne m'a pas lâché tant que je ne l'ai pas photographié. Spectacle souvent pitoyable: quand ils ne sont pas accompagnés, ils sont fréquemment arnaqués, escroqués. Depuis Manaus, il faut faire des centaines de kilomètres pour trouver des "vrais Indiens", mais il arrive que certains viennent là pour des raisons sanitaires.
Phytothérapie, sorcellerie, nous sommes en Amazonie! Mais Manaus n'offre pas autant de ressources que le célèbre Ver-O-Peso de Belém.
Notez la hauteur du trottoir. Il faut ça pendant un orage: cette avenue devient alors un torrent
Ces magasins offrent l'essentiel de ce qui est nécessaire pour vivre dans la selva
Manomètres... Il y a encore des machines à vapeur!
Ce n'est pas de la grande gastronomie mais c'est équilibré, roboratif et pas cher (un repas coûte moins de trois euros)
La plus ancienne pharmacie de Manaus. Etage de béton ajouté sur l'ancienne structure
Les crevettes viennent de Belém... elles permettent d'agrémenter les tacacas de la diaspora du littoral.
L'esclavage rural est toujours une réalité au Brésil. La police fédérale aidée des services sociaux et de l'armée libère encore des centaines de malheureux chaque année, en menant de véritables opérations militaires: les immenses fazendas sont gardées par de puissantes milices privées.
Petite place près de "mon" hôtel, des journaliers y stationnent, espérant un employeur
Ne pas s'y fier... en trente secondes ils seront disponibles. Et quiconque casserait les prix en s'offrant pour moins que le "tarif syndical" serait banni de la communauté.
Et c'est là que pour quelques dizaines d'euros, en une "cure" hebdomadaire à raison de deux séances quotidiennes, un "massagista" informel a soulagé des douleurs persistantes qui m'empêchaient presque d'utiliser un clavier.
Vêtements pour "les gros et les grosses". C'est dit clairement...
Il y a encore quelques incroyables voitures de ce genre qui sillonnent la ville...
les dessous féminins du Brésil usurperaient-ils leur réputation?
"Arte da Rua", très apprécié au Brésil.
Contraste dans l'architecture... typique de Manaus.
Mais de beaux restes, disséminés dans le centre!
A la belle époque (en français dans le texte quand on en parle au Brésil), les grands magasins français avaient tous une succursale à Manaus. Le couturier Poiret vendit pour des centaines de milliers de francs de robes à la bourgeoisie locale toujours francophile et souvent francophone.
La "big ben" amazonienne
Des staffeurs et des sculpteurs venus d'Europe ont fait fortune à Manaus, tout comme à Belém.
Il reste des milliers de ces frontons, disséminés dans la ville.
Les briques était importées! (accessoirement, elles lestaient les navires partis d'Europe qui arrivaient à vide à Manaus après avoir remonté l'Amazonie, pour charger le caoutchouc)
La cathédrale vue depuis un superbe parc, hélas aussi étouffant que le reste de la ville.
Les bassins sont vidés: on lutte énergiquement contre les gites larvaires de moustiques, en raison des épidémies de dengue.
Toute la ferronnerie était importée, en général de Grande-Bretagne. De Wendel a également beaucoup vendu à Manaus.
Dans le parc, un "marcineiro" proposait ses chaises et ses tabourets. Le temps qu'il aille manger, ses deux gamins gardaient le stock... Ils ont dû s'expliquer avec un policier: le travail infantile est désormais combattu au Brésil et a quasiment disparu des zones urbaines (du moins, il est invisible). Tout s'est arrangé au retour rapide du père.
Le premier lycée de la ville, construit à la fin de la grande époque.
Fils de la forêt, de l'eau et du bois, mes yeux les parcourent depuis mon enfance.
Dans mon coeur, le bateau de l'Attente et de l'Amour pour l'Amazonie, la patrie de l'eau !
Tiago de Mello
Tant de choses à regarder !
Impossible de commenter...
Merci de ce beau reportage et de ces belles images
Rédigé par : Nyaël | 19 juin 2012 à 15:51