Libération de Paris
Un film amateur sur la libération de Paris trouvé récemment prouve, une fois encore, que les cinéastes amateurs sont bien les témoins de leur temps.
La fréquentation des brocantes et trocs et puces réserve parfois de belles surprises. Comme ce petit film tourné par un anonyme dans le format 8 mm (format amateur sorti en 1932) sur la libération de Paris entre le 19 août et le 25 août 1944, date de l’arrivée triomphale de la 2e Division Blindée du Général Philippe Leclerc.
En voici le descriptif détaillé.
Une troupe d’artilleurs allemands (une trentaine d’hommes) remonte en bon ordre une avenue, suivie par deux chevaux tirant chacun un petit chariot bâché. Deux soldats ferment la marche (scène prise du haut d’une fenêtre, mais bien filmée).
Trains immobilisés en gare par la grande grève déclenchée par les cheminots (elle a débuté le 10 août 1944 et constitue le premier mouvement d’insurrection populaire contre l’occupant pour libérer la capitale).
Une poule blanche arpente une rue pavée déserte, avant de disparaître sous une porte cochère.
Non loin d’une gare, une barricade avec ses occupants. Les jeunes combattants exhibent des armes lourdes. Les visages sont graves et déterminés, mais quelques uns sourient à la caméra.
Des curieux s’approchent d’une automitrailleuse allemande neutralisée. Deux fillettes posent devant en souriant.
Une foule importante s’agglutine devant l’hôtel de ville où l’on hisse le drapeau tricolore au cours d’une cérémonie officielle à laquelle assistent des gendarmes mobiles au garde à vous. Applaudissements et gros plans sur les visages du public.
Place de la Concorde, un homme, juché sur le toit d’une automobile, harangue la foule qui sourit car il semble ivre, cherchant constamment son équilibre. Des avions en escadrille survolent la capitale.
Un accordéoniste devant la devanture de l’établissement « Au petit Bougnat » (rue de Courcelles, 17e arrondissement) fait danser quelques jeunes gens dans la rue.
Une batterie DCA allemande étroitement surveillée par trois résistants casqués non loin d’un jardin (Tuileries ?).
Les murs criblés de balles et les vitres fracassées de grands immeubles (rue de Rivoli ?).
Les Parisiens envahissent en masse les parcs (Tuileries, Luxembourg…) afin de savourer leurs premières heures de liberté enfin retrouvée.
A la gare d’Austerlitz, des pancartes informent les voyageurs qu’aucun train ne circulera le dimanche 3 septembre (jour fixé pour la fête de la Libération).
Une foule importante remonte les Champs-Élysées pour assister au défilé des troupes de la 2e DB du Général Leclerc dans la matinée du 25 août. Scènes de liesse générale. Des femmes se hissent sur les marchepieds des jeeps pour embrasser les soldats. Certaines sont debout, cheveux au vent, dans les cabines des véhicules militaires. Un homme caresse une oie blanche, mascotte juchée sur l’un des chars de la 2e DB arborant la cocarde bleu-blanc-rouge.
La joie prédomine, mais quelques visages graves révèlent la fatigue et la dureté des combats livrés.
Le trafic ferroviaire (vues sur les voies ferrées vides) toujours totalement interrompu.
Une nuée de vélos envahit la place de la Concorde.
Une foule dense, contenue par des gendarmes mobiles, se presse atour de l’Arc de Triomphe où le drapeau tricolore a été hissé. Des monoplans survolent la scène. Fin.
Commentaire
A l’évidence, ce film a été réalisé par un amateur averti qui devait faire partie d’un club de cinéastes amateurs parisien au vu de la qualité de son film : il a même placé une mire au début pour faire la mise au point et conclu son film avec le mot "Fin". Aucun flou, nombreux plans variés et dynamiques (dont beaucoup de gros plans) tournés au cœur même de la foule.
On sent très nettement la différence d’ambiance entre les premières images : celles où l’on voit les Allemands (leur départ a commencé le 19 août 1944), les rues désertes (la poule blanche) et les barricades érigées par des combattants et FFI - puis celles où la foule envahit massivement les rues pour assister à l’arrivée, le 25 août, de la 2e Division Blindée du Général Leclerc. Les grappes humaines agglutinées sur les plateformes des bus et des camions, les cohortes de Parisiens remontant l’avenue des Champs-Elysées vers l’Arc de Triomphe où flotte à nouveau le drapeau français…
Ce document exceptionnel prouve une fois de plus que les cinéastes amateurs sont bien les témoins privilégiés de leur temps. Des images très intéressantes sur la 2e DB de Leclerc dont les étapes victorieuses qui l'accompagnèrent du Tchad au Rhin en passant par Paris, rendirent célèbre.
Grâce aux images qu’il a ainsi enregistrées, ce cinéaste a su restituer l’atmosphère fébrile et enthousiaste de la libération de Paris, n'hésitant pas à se déplacer pour capter les émotions à chaud. A un moment, on voit son reflet quand il filme avec sa petite caméra 8 mm l’impact d’une balle dans la vitrine d’un magasin (il s’agit d’un quinquagénaire).
Quelques séquences surexposées - l’opérateur n’ayant pas eu le temps de régler correctement la mesure de la lumière (à cette époque les caméras n’étaient pas équipées de posemètre automatique). La présence de nombreux gros plans et plans de coupe attestent d’un bon savoir-faire dans la pratique du montage. La cadence de tournage est de 16 images/seconde (vitesse standard à l’époque) et on projettera donc ce précieux document à la vitesse de 18 images/seconde sur un projecteur Standard 8 mm.
Ce document est en très bon état (aucune rayure). Les contrastes sont très bons dans les noir et blanc de la pellicule KODAK que le cinéaste avait dû conserver malgré les restrictions. Rappelons que se procurer de la pellicule durant la période de l’occupation était très rare car extrêmement difficile et dangereux : on pouvait être soupçonné d’espionnage et donc être fusillé sur le champ.
La bobine en aluminium est de marque allemande DEGETO, non voilée, et rangée dans une boîte alu sans marque. Six ou sept collures ont dû être refaites par mes soins car devenues cassantes.
S.Moroy
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