CHUUUT
JANINE BOISSARD
ROBERT LAFFONT
De chaque côté du château qui donnait sur une grande cour avec un puits fleuri - interdit de s'asseoir sur la margelle -, grand-père avait fait ajouter des ailes qu'on appelait aussi des «dépendances», afin d'y loger ses quatre enfants lorsqu'ils seraient mariés : une pour Baudoin et Roselyne, les aînés, une pour Monique et Hermine (maman), les cadettes.
Aujourd'hui, c'était fait. L'oncle Baudoin et la tante Béatrix occupaient l'aile droite avec leurs trois enfants, Thibaut, LouisAdrien et Philippine. La tante Monique, l'aile gauche avec son fils Alexander, et nous à côté, bien séparés, chacun chez soi, Hermine et Gilles, mes parents avec moi, Fine, et mon petit frère Benjamin.
Et là, les «pourquoi» commençaient.
- Dis, maman, pourquoi les volets de la dépendance de tante Roselyne sont toujours fermés ? Où elle est ? Pourquoi on l'a jamais vue ?
- Chut, ma Fine, répondait maman. Ta tante Roselyne est partie très loin, dans un autre pays. Ça a fait beaucoup de chagrin à tes grands-parents, alors surtout tu ne leur en parles pas.
- Et toi aussi, maman, ça t'a fait beaucoup de chagrin ?
- Bien sûr, c'était ma grande soeur.
- Et elle reviendra quand ?
Là, c'était «chut» les larmes aux yeux.
- Jamais, mon coeur.
L'autre «pourquoi» concernait mon cousin Alexander, le fils de tante Monique.
- Dis, maman, pourquoi Alexander reste toujours dans son coin ? Il ne veut pas jouer avec nous, il regarde par terre en parlant charabia, et quand il crie, ça fait peur.
- Chut ! répondait maman en fixant le mur comme si tante Monique avait l'oreille collée de l'autre côté. Tu sais bien qu'Alexander est malade.
- Et c'est quoi exactement, sa maladie ?
- C'est les nerfs. On le soigne, tout le monde prie pour qu'il guérisse. Et même s'il fait un peu peur, tu dois être gentille avec lui parce que ce n'est pas sa faute s'il est malade.
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