LA PREMIERE CHOSE QU'ON REGARDE
GREGOIRE DELACOURT
LATTES
Grégoire Delacourt fait apparaître dans ce roman Scarlett Johansson; l'actrice américaine demande réparation pour "violation et exploitation frauduleuse des droits de la personnalité"
Arthur Dreyfuss aimait les gros seins.
Il s'était d'ailleurs
demandé, si d'aventure il avait été une fille, et parce que sa mère les
avait eus légers, sa grand-mère lourds, du moins dans le souvenir des
étreintes asphyxiantes, s'il les aurait eus gros ou petits.
Il
trouvait qu'une poitrine conséquente obligeait à une démarche plus
cambrée, plus féminine, et c'est la grâce de ces silhouettes en délicat
équilibre qui l'enchantait ; le bouleversait parfois. Ava Gardner dans
La Comtesse aux pieds nus, Jessica Rabbit dans Qui veut la peau de Roger
Rabbit. Et tant d'autres. Ces images le rendaient béat et rougissant.
La poitrine impressionnait, appelait soudain au silence, forçait le
respect. Il n'était pas d'homme sur cette terre qui ne redevenait alors
petit garçon.
Ils pouvaient tous mourir pour ça.
De tels
avantages, Arthur Dreyfuss, qui n'en avait jamais encore eu à proprement
parler sous la main, en avait contemplé moult versions dans quelques
vieux magazines usés de L'Homme moderne dénichés chez PP. Sur Internet
aussi.
Pour les vrais, il y avait eu ceux de madame
Rigautmalolepszy, qu'il apercevait lorsqu'ils débordaient de ses
chemisiers au printemps : deux flamboyantes pastèques, si claires
toutefois qu'y affleuraient des ruisseaux vert pâle, enfiévrés,
palpitants ; tumultueux soudain lorsqu'elle accélérait le pas pour
attraper l'autobus qui s'arrêtait deux fois par jour Grande Rue (une
petite rue où le 1er septembre 1944 tomba un Écossais, un certain
Haywood, pour la libération de la commune), ou que son ignoble roquet
roux l'entraînait, excité, vers une quelconque déjection.
En classe
de troisième, la sympathie du jeune Arthur Dreyfuss pour ces fruits de
chair lui fit choisir la proximité d'une certaine Nadège Lepetit qui,
bien qu'assez ingrate, avait l'avantage d'un copieux 85C sur une
ravissante Joëlle Ringuet porteuse d'un 80A de limande. Ce fut un
mauvais choix. L'ingrate protégeait jalousement ses demi-melons et
interdisait aux gourmands de les approcher : âgée de treize ans, la
maraîchère gironde, consciente de ses atours, voulait être convaincue
d'être aimée pour elle-même, et l'Arthur Dreyfuss du même âge ne s'y
entendait alors pas vraiment en mots courtois, rimeurs et trompeurs. Il
n'avait pas lu Rimbaud ni vraiment retenu les paroles au miel des
chansons de Cabrel, ou celles, plus anciennes, d'un certain C. Jérôme
(exemple : Non, ne m'abandonne pas/Non, non, mais donne-toi).
Lorsqu'il apprit qu'Alain Roger, son ami d'alors, eut les modestes
drupes de la ravissante Joëlle Ringuet au bout des doigts, puis au bord
des lèvres, puis tout à fait dans la bouche, il crut devenir fou et se
demanda s'il ne fallait pas réviser drastiquement ses positions
mammaires. A la baisse.
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