Illustrations de Laurent Maffre
LIBERTALIA
Dans un univers aussi féroce que celui des bagnes, poser un geste humain relève de la sainteté. Pour avoir passé vingt et un ans dans les geôles de Cayenne, Paul Roussenq (1885-1949) en savait quelque chose. Lorsqu'il saluait la bienveillance de tel ou tel médecin militaire à l'égard des prisonniers, cet anarchiste usait spontanément d'un lexique religieux : "Leur mérite était d'autant plus grand qu'ils n'en attendaient aucune récompense, se sacrifiant obscurément dans le cours de leur apostolat", notait-il dans L'Enfer du bagne.
Publié une première fois en 1957, ce bref témoignage décrit chaque aspect du système pénitentiaire propre à "Biribi". Il est rédigé d'une plume sensible, qui conjugue la précision du document et l'intensité de la révolte.
Roussenq y évoque non seulement l'horreur carcérale, le sadisme des gardes-chiourmes et le triomphe des mouchards, mais aussi les rares espaces de complicité entre forçats : par exemple, le jeu des devinettes, au fond du cachot, à travers les bouches d'aération. Ou encore, par-delà la violence en général et les viols en particulier, le discret déploiement des amours masculines : "ces unions spéciales sont génératrices d'amitiés souvent profondes", écrit Roussenq.
Bagnard incorrigible, réfractaire jusqu'à la folie, celui-ci multiplia les outrages contre les magistrats et les surveillants. Au point que certains de ses anciens codétenus le soupçonnèrent de "se plaire en cellule". Lui-même justifiait son attitude par un refus viscéral de l'injustice : "On ne me demandait que d'être neutre, de ne plus me faire l'avocat des autres. (...) A ces offres de capitulation, je répondais par la lutte à outrance."
Et au journaliste Albert Londres, qui popularisa son cas en 1923 et qui était venu le visiter dans son cachot de l'île Saint-Joseph, Paul Roussenq confia simplement : "Je ne puis croire que j'ai été un petit enfant. Il doit se passer des choses extraordinaires qui vous échappent. Un bagnard ne peut avoir été un petit enfant".
L'ENFER DU BAGNE de Paul Roussenq. Illustrations de Laurent Maffre. Libertalia, 136 p., 10 €.
Disponible à la bibliothèque.
Jean Birnbaum
C'est vrai que nous n'avons pas souligné, vendredi, le rapport entre les bagnes militaires (Biribi, Tataouine, etc.) et... le bagne tout court.
Partaient dans les premiers tout "mauvais sujet" signalé pendant son enfance - parfois pour une broutille telle qu'un chapardage - sauf bien entendu ceux qui "avaient des relations" (ils étaient légion, les courriers de sénateurs, de députés ou de conseillers généraux qui tentaient d'obtenir une exception pour le fils de famille dévoyé).
Ce n'était pas tant la dureté des conditions de vie dans ce "service militaire entièrement à part" que son iniquité, qui a créé des fauves. Dès le retour, les nunuches devenus fauves se faisaient reprendre et débarquaient deux ou trois ans plus tard à Saint-Laurent du Maroni ; les autres passaient entre les mailles du filet (ils s'appelaient Joe Attia ou Mémé Guérini, Carbone, Spirito, etc., tous passés par Biribi. Quel succès, pour la société, que cette politique pénitentiaire! Quelle exemplarité de la peine!)
Nous signalerons que l'homme qui a "sorti" Roussenq de sa spirale infernale fut le Gouverneur Chanel (lequel venait de se faire copieusement insulter par le dit Roussenq, du fond de son cachot de l'abominable réclusion de Saint-Joseph) en levant immédiatement TOUTES les punitions accumulées - dont quelques années de réclusion - puis en l'autorisant rapidement à rejoindre le "continent" en quittant les îles maudites. Preuve s'il en était besoin qu'un mouvement d'humanité n'est évidemment pas la panacée, mais qu'appliqué au bon moment, à la bonne personne par la bonne personne, il constitue parfois la solution pour remettre un exclu dans l'humanité. Précisons que loin d'être un illuminé, Chanel était un conservateur bon teint affublé de tous les préjugés de son époque.
Rédigé par : bernard borghésio-ruff | 09 novembre 2009 à 15:43