Je reprends aujourd'hui cette note de décembre 2008 en hommage à cette grande dame et merveilleuse amie que fut Liliane Blanadet. Elle reposera dans le cimetière d'Authouillet dans l'Eure.
Décembre 2008
Vifs remerciements à Liliane Blanadet qui a magistralement habité le personnage de Bécassine pour rédiger tout spécialement cet article paru dans INFOS-CINE de décembre 2008, et qui est à votre disposition à la bibliothèque de la Roseraie.
Y. Frassati-Godefroy et S. Moroy
Autoportrait
Moi, Bécassine, je suis née avec le Cinématographe
Naissance
Ma naissance littéraire s’est faite dans l’improvisation la plus grande, dans la fièvre d’un bouclage de presse : en ce jeudi 2 février 1905, un nouveau journal pour enfants est sur le point de paraître : ‘’La Semaine de Suzette’’. La rédactrice en chef, Jacqueline Rivière, s’aperçoit que la page 16 est restée blanche. C’est la quatrième de couverture, en couleurs et la seule page récréative du nouvel hebdomadaire. Que faire ? On ne peut pas joindre celui qui aurait dû livrer la page manquante ! Jacqueline Rivière improvise alors un scénario et demande à un dessinateur de passage de le mettre en images. Il s’exécute, croque ‘’sur le champ’’ les traits des protagonistes de ‘’L’erreur de Bécassine’’, une historiette en images qui rapporte ma bévue à propos d’un ‘’homard’’. J’arrivions tout droit de mon village natal Clocher-les-Bécasses (non loin de Quimper) pour être bonne à tout faire chez Mme la Marquise de Grand-Air. Et, si je suis populaire depuis ce 2 février 1905, je le dois à ce père dessinateur : Joseph Porphyre Pinchon, qui, grâce à son génial coup de crayon, a fait surgir mon inoubliable silhouette. Depuis ce jour-là, j’occupe une bonne place dans la littérature enfantine et dans la B.D. française et je continue de nos jours à bien me porter ! Au fait, mon vrai nom est Annaïk Labornez.
Le rire
Je fais rire des générations de petites filles (mais les garçons lisent par-dessus les épaules de ces petites filles). Je fais rire surtout les enfants par mon simple comique visuel, mes sottises, par exemple lorsque je salue le portrait de Mme la Marquise de Grand-Air en le prenant pour Mme la Marquise en personne. Il y a dans mes albums beaucoup de quiproquos drôles. Je réécris l’Histoire et mon ignorance fait rire. Je déforme les noms propres et j’ai des souvenirs fantaisistes de faits historiques dont j’ai eu connaissance. Et si vous avez la chance de me découvrir dans un grenier, outre le rire (assuré de sept à soixante-dix-sept ans et même au-delà…) vous vous émerveillerez sur ces albums au joli dos toilé, à la typographie désuète, précieux trésors.
Je suis drôle avec ma spontanéité, mes fautes d’orthographe, mes erreurs culturelles, mes bêtises. Mais je suis capable aussi de faire preuve parfois de facultés pratiques évidentes, doublées d’un solide bon sens. Le tout accompagné de ma proverbiale bonne humeur ! Je crois qu’est là, la raison de ma pérennité. Et il ne faut pas oublier que je suis un témoignage historique sur l’aspect social, culturel, politique de la première du XXe siècle (les deux guerres, la crise, les expositions universelles,…).
Emancipation de la femme
Je suis résolument moderne. Je manifeste à tout instant mon esprit d’indépendance : je quitte l’école de Clocher-les-Bécasses à dix ans pour ne plus être à la charge de mes parents, je participe à l’exode rural pour trouver un emploi ; d’abord apprentie, serveuse, travailleuse acharnée, je veux obtenir une promotion sociale. Je suis avant-gardiste, pionnière de l’émancipation de la femme.
Une vraie touche à tout
J’apprends à conduire ma propre voiture, on dit ‘’automobile’’, j’effectue de grands voyages : aux Amériques chez les Indiens, en Turquie et en Angleterre. Je prends l’avion; même un avion de reconnaissance où je suis photographe. Les prises de vue sont de qualité. J’ai même été décorée pour ça. Je suis touche à tout, curieuse de tout. Je goûte tous les sports : le ski, je suis une bonne descendeuse ; mon moniteur ne me trouve qu’un seul défaut (je suis incapable de m’arrêter !). Je goûte aussi à l’alpinisme et pourtant je suis ‘’vertigineuse’’, mais je suis douée d’une vitalité et d’une bonne volonté et rien, non rien, ne me décourage. Je suis aussi une adepte des bains de mer ; mais je n’ose guère me montrer sur les plages à cause d’une tenue de bain héritée de ma grand-mère. Je suis aussi ‘’inventeuse’’, j’ai beaucoup d’imagination. Ainsi, j’ai inventé le ‘’biberon de nuit automatic’’ (je vous demande de bien lire l’invention jointe en illustration). Conclusion : le bébé est à peine réveillé et la ‘’nounou’’ ne l’est pas du tout. Mais je n’ai pas eu de prix au ‘’concours Lépine’’. J’écris mes mémoires. Ecrivaine, je suis ‘’tarabustée’’ par mes créateurs qui me réclament la suite de mes aventures. Je comprends très vite l’importance du développement des sciences et des techniques. Le gaz change les habitudes domestiques. Je ne le redoute pas le moins du monde. Je m’étonne devant ce feu qu’il ne faut pas nourrir de bois ou de charbon et qui ne s’éteint pas de lui-même. Madame Bogozier me réprimande sévèrement parce que le gaz brûle en ‘’continu’’ pour rien. Et j’adore téléphone, parler avec la vieille Marie qui est à Roses-sur-Loire et qui me donne ainsi des nouvelles de toute la famille de la Marquise, des domestiques, ‘’cettera’’.
Le cinématographe et moi
En 1917
Je vous disais ‘’je suis née avec le cinématographe » et… j’en ai même fait !
En 1917, je prends le tramway pour aller faire des courses à Madame, ma patronne. Là, je fais la connaissance du général Joffre, du général Nivelle, du général Cadorna, du général Broussiloff, du général Douglas Haig, de l’Empereur et du ‘’marchand de café’’. Ce dernier porte une espèce de grande boîte avec une manivelle ; je pense tout de suite ‘’ça doit lui servir à moudre sa marchandise !’’Après les présentations, ils ont bien ri. Je trouve qu’ils ne ressemblent pas aux portraits d’eux qu’on voit dans les journaux. J’en fais la remarque au général Joffre qui, en riant, m’explique : ‘’c’est fait exprès… pour dérouter les espions !’’. Il m’invite à venir avec eux aux ‘’baraques de là-bas’’.
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