Je reprends aujourd'hui cette note de décembre 2008 en hommage à cette grande dame et merveilleuse amie que fut Liliane Blanadet. Elle reposera dans le cimetière d'Authouillet dans l'Eure.
Décembre 2008
Vifs remerciements à Liliane Blanadet qui a magistralement habité le personnage de Bécassine pour rédiger tout spécialement cet article paru dans INFOS-CINE de décembre 2008, et qui est à votre disposition à la bibliothèque de la Roseraie.
Y. Frassati-Godefroy et S. Moroy
Autoportrait
Moi, Bécassine, je suis née avec le Cinématographe
Naissance
Ma naissance littéraire s’est faite dans l’improvisation la plus grande, dans la fièvre d’un bouclage de presse : en ce jeudi 2 février 1905, un nouveau journal pour enfants est sur le point de paraître : ‘’La Semaine de Suzette’’. La rédactrice en chef, Jacqueline Rivière, s’aperçoit que la page 16 est restée blanche. C’est la quatrième de couverture, en couleurs et la seule page récréative du nouvel hebdomadaire. Que faire ? On ne peut pas joindre celui qui aurait dû livrer la page manquante ! Jacqueline Rivière improvise alors un scénario et demande à un dessinateur de passage de le mettre en images. Il s’exécute, croque ‘’sur le champ’’ les traits des protagonistes de ‘’L’erreur de Bécassine’’, une historiette en images qui rapporte ma bévue à propos d’un ‘’homard’’. J’arrivions tout droit de mon village natal Clocher-les-Bécasses (non loin de Quimper) pour être bonne à tout faire chez Mme la Marquise de Grand-Air. Et, si je suis populaire depuis ce 2 février 1905, je le dois à ce père dessinateur : Joseph Porphyre Pinchon, qui, grâce à son génial coup de crayon, a fait surgir mon inoubliable silhouette. Depuis ce jour-là, j’occupe une bonne place dans la littérature enfantine et dans la B.D. française et je continue de nos jours à bien me porter ! Au fait, mon vrai nom est Annaïk Labornez.
Le rire
Je fais rire des générations de petites filles (mais les garçons lisent par-dessus les épaules de ces petites filles). Je fais rire surtout les enfants par mon simple comique visuel, mes sottises, par exemple lorsque je salue le portrait de Mme la Marquise de Grand-Air en le prenant pour Mme la Marquise en personne. Il y a dans mes albums beaucoup de quiproquos drôles. Je réécris l’Histoire et mon ignorance fait rire. Je déforme les noms propres et j’ai des souvenirs fantaisistes de faits historiques dont j’ai eu connaissance. Et si vous avez la chance de me découvrir dans un grenier, outre le rire (assuré de sept à soixante-dix-sept ans et même au-delà…) vous vous émerveillerez sur ces albums au joli dos toilé, à la typographie désuète, précieux trésors.
Je suis drôle avec ma spontanéité, mes fautes d’orthographe, mes erreurs culturelles, mes bêtises. Mais je suis capable aussi de faire preuve parfois de facultés pratiques évidentes, doublées d’un solide bon sens. Le tout accompagné de ma proverbiale bonne humeur ! Je crois qu’est là, la raison de ma pérennité. Et il ne faut pas oublier que je suis un témoignage historique sur l’aspect social, culturel, politique de la première du XXe siècle (les deux guerres, la crise, les expositions universelles,…).
Emancipation de la femme
Je suis résolument moderne. Je manifeste à tout instant mon esprit d’indépendance : je quitte l’école de Clocher-les-Bécasses à dix ans pour ne plus être à la charge de mes parents, je participe à l’exode rural pour trouver un emploi ; d’abord apprentie, serveuse, travailleuse acharnée, je veux obtenir une promotion sociale. Je suis avant-gardiste, pionnière de l’émancipation de la femme.
Une vraie touche à tout
J’apprends à conduire ma propre voiture, on dit ‘’automobile’’, j’effectue de grands voyages : aux Amériques chez les Indiens, en Turquie et en Angleterre. Je prends l’avion; même un avion de reconnaissance où je suis photographe. Les prises de vue sont de qualité. J’ai même été décorée pour ça. Je suis touche à tout, curieuse de tout. Je goûte tous les sports : le ski, je suis une bonne descendeuse ; mon moniteur ne me trouve qu’un seul défaut (je suis incapable de m’arrêter !). Je goûte aussi à l’alpinisme et pourtant je suis ‘’vertigineuse’’, mais je suis douée d’une vitalité et d’une bonne volonté et rien, non rien, ne me décourage. Je suis aussi une adepte des bains de mer ; mais je n’ose guère me montrer sur les plages à cause d’une tenue de bain héritée de ma grand-mère. Je suis aussi ‘’inventeuse’’, j’ai beaucoup d’imagination. Ainsi, j’ai inventé le ‘’biberon de nuit automatic’’ (je vous demande de bien lire l’invention jointe en illustration). Conclusion : le bébé est à peine réveillé et la ‘’nounou’’ ne l’est pas du tout. Mais je n’ai pas eu de prix au ‘’concours Lépine’’. J’écris mes mémoires. Ecrivaine, je suis ‘’tarabustée’’ par mes créateurs qui me réclament la suite de mes aventures. Je comprends très vite l’importance du développement des sciences et des techniques. Le gaz change les habitudes domestiques. Je ne le redoute pas le moins du monde. Je m’étonne devant ce feu qu’il ne faut pas nourrir de bois ou de charbon et qui ne s’éteint pas de lui-même. Madame Bogozier me réprimande sévèrement parce que le gaz brûle en ‘’continu’’ pour rien. Et j’adore téléphone, parler avec la vieille Marie qui est à Roses-sur-Loire et qui me donne ainsi des nouvelles de toute la famille de la Marquise, des domestiques, ‘’cettera’’.
Le cinématographe et moi
En 1917
Je vous disais ‘’je suis née avec le cinématographe » et… j’en ai même fait !
En 1917, je prends le tramway pour aller faire des courses à Madame, ma patronne. Là, je fais la connaissance du général Joffre, du général Nivelle, du général Cadorna, du général Broussiloff, du général Douglas Haig, de l’Empereur et du ‘’marchand de café’’. Ce dernier porte une espèce de grande boîte avec une manivelle ; je pense tout de suite ‘’ça doit lui servir à moudre sa marchandise !’’Après les présentations, ils ont bien ri. Je trouve qu’ils ne ressemblent pas aux portraits d’eux qu’on voit dans les journaux. J’en fais la remarque au général Joffre qui, en riant, m’explique : ‘’c’est fait exprès… pour dérouter les espions !’’. Il m’invite à venir avec eux aux ‘’baraques de là-bas’’.
Je fais mes courses et je rejoins mes camarades du tramway. Et là, je suis saisie par une grande surprise : mes camarades du train étaient maintenant tout à fait pareils aux portraits des journaux. C’est étonnant qu’on puisse se changer comme ça !
Les généraux arrivent au Conseil de guerre des Alliés, chacun leur tour. C’était toujours la même auto, avec le même conducteur qui changeait de costume à chaque fois : ça m’a étonnée que ces grands chefs-là n’aient pas chacun leur voiture ! On s’installe ; moi je me place tout près du ‘’marchand de café’’ et de l’Empereur qui criait des commandements : ‘’Joffre, un peu plus en avant…’’ Tout le monde lui obéissait. Le ‘’marchand de café’’ tournait sa manivelle. Puis, on a monté un décor : on allume un feu, on apporte un rocher en carton. Le général Joffre s’assoit dessus. Il déploie sa carte sur son genou. Il prépare la bataille du lendemain. Ecrasé de fatigue, il s’assoupit. C’est alors, que je vois quelque chose de terrible : déjouant la surveillance du factionnaire, un espion s’avance en rampant dans le dos du général tout en levant un poignard. Alors, en un clin d’œil, je saute sur lui, je lui arrache son poignard et je terrasse le traître. Je mets le pied sur son dos comme j’ai vu une fois un dompteur faire à un tigre méchant. Le ‘’marchand de café’’, pas content, parle de film perdu ; mais l’Empereur lui crie : ‘’tourne ta manivelle et tais-toi… C’est excellent, ça aura un succès fou !’’.
Pour me remercier, l’Empereur me donne des places réservées pour la représentation au grand cinéma national. Nous y allons avec ma bonne et gentille maîtresse. Ça a commencé et, qu’est-ce que je vois ? Exactement ce que je viens de vous raconter ! Je me suis levée en criant : ‘’Mais, c’est moi !’’ L’ouvreuse vient me supplier de ne pas faire un ‘’escandale’’. Je comprends enfin que j’ai été abusée et que j’ai fait du cinéma à mon insu. C’est ‘’hénaurme’’ me direz-vous ! Mais je ne serions point Bécassine si je n’étions pas crédule !
Après la représentation, on nous invite au foyer des artistes. Moi, j’étais un peu vexée d’avoir pris pour des grands généraux des gens qui ne sont que des acteurs de cinéma. L’Empereur, qui est le chef de l’entreprise, a fait un petit discours. Madame les a tous félicités, ‘’cependant, a-t-elle ajouté, ce général en chef qui travaille en plein air, si près des lignes ennemies, ce traître qui parvient jusqu’à lui, cette Bretonne qui sort on ne sait où, ce n’est guère vraisemblable’’. ‘’Dites que c’est absurde, a riposté l’Empereur, plus une scène est absurde, plus elle a du succès au cinéma. C’est parce que je ne crains pas l’absurdité que je réussis au point qu’on m’appelle l’Empereur, l’Empereur du cinéma’’. Le général Joffre ajoute ‘’quand je pense que je dois figurer dans ces absurdités, moi, premier du Conservatoire ! Mais il faut vivre. C’est la guerre !’’.
L’Empereur a raison, je crois, car après la représentation, j’étais au milieu d’applaudissements à faire crouler la salle.
L’envers du décor
A travers moi se dessinent les discrets profils de mes créateurs. Vous connaissez le génial coup de crayon de Joseph-Porphyre Pinchon, et là vous savourez l’observateur critique de cette époque secouée par cette terrible guerre. Ce juge caustique, c’est Monsieur Maurice Languereau, alias Caumery (anagramme de son prénom). Caumery dévoile la supercherie des productions du SCA (Service Cinématographique des Armées) qu’il ridiculise. En effet, créé en 1915 pour fournir aux salles de cinéma des vues d’actualité, le SCA avait envoyé ses opérateurs sur le front. Mais les images qui montraient la saleté, la gangrène, la souffrance furent confisquées et mises sous scellés. Loin du front, d’autres cinéastes filmèrent avec des figurants et des décors artificiels une tout autre guerre… Et c’est ainsi que j’ai fait du cinéma sans le savoir.
En 1937
Je fais encore du cinéma en 1937 grâce à Marie Quillouch, ma cousine ‘’revêche’’.
On a commencé presque dès le berceau à se disputer et à se flanquer des ‘’torgnoles’’. Elle veut être ARTISTE. C’est la raison pour laquelle elle est venue à Paris avec le bon oncle Corentin qui la présente partout : au cirque, au grand théâtre…
Un soir l’oncle Corentin, fatigué, renonce. Il veut retourner au pays. Alors, j’arrange les choses et je propose de chercher avec eux. Tous les deux sont bien contents. Mais je n’ai pas d’idée… Celles-ci me viennent quand je me promène. On se promène sur les quais. Et c’est là que je retrouve Pétrus Pictor que j’avais vu auparavant dans le quartier et qui me regardait toujours avec insistance. On se présente. Pétrus est un très bon artiste peintre, ancien élève des Beaux-arts. Mais pas d’acheteur, c’est la crise et la peinture ne lui rapporte guère. Alors, M. Pétrus s’est mis à faire des dessins de publicité pour le cinéma. Il nous fait visiter son atelier, dans l’île, sur le quai des Orfèvres, au 7e étage. Pétrus déroule puis étale un rouleau de papier bristol : ‘’Je vous avoue que je me suis permis d’esquisser de mémoire mademoiselle Bécassine’’. Je suis un peu caricaturée. Et voici le projet de réclame pour le cirage ‘’l’éblouissant’’. Marie Quillouch bougonne ‘’tout pour Bécassine, je la vaux bien pourtant !’’. Pétrus explique que les réclames en dessins animés ne peuvent être d’un grand rapport pour le modèle tandis qu’un film avec de vrais personnages, en cas de succès, est une ‘’mine d’or’’. Nous irons demain dans un studio de cinéma.
Nous y voilà, au studio n° 12, on tourne ‘’Le mariage de Mademoiselle Irma’’. Dans la salle des mariages, Monsieur le Maire est en colère car rien ne va : les photos ratent, le sonore bafouille, les acteurs sont insupportables (surtout Mademoiselle Irma). De plus, un groom vient lui dire que les parents de la mariée ne viendront pas. Le Maire est effondré. Pétrus le réconforte et lui présente la famille de la fiancée ; bien sûr, c’est nous : l’oncle Corentin, Marie Quillouch et moi-même ! Vite, en place pour le cortège ! Mademoiselle Irma est au bras de l’oncle Corentin. Elle est grincheuse envers le pauvre oncle et prétend qu’il n’arrondit pas assez le bras, qu’il marche à trop grands pas… Après, il a fallu faire la mise au point pour les dialogues. M. le Maire crie ‘’attention, on va faire marcher la photo et le parlant, et faites donner les 5 kilos !’’. Le travelling, c’est un appareil de prises de vues, facile à déplacer car il est monté sur roues et rails. Et l’on appelle ‘’5 kilos’’, les gros réflecteurs électriques. M. le Maire crie : ‘’la girafe !’’. C’est une perche qui porte en fait le micro nécessaire pour recueillir puis enregistrer le son. Marie dit à Irma : ‘’je crois qu’on vous appelle !’’ (il faut reconnaître qu’on ne peut pas voir le long cou et la toute petite tête de mademoiselle Irma sans penser aussitôt à une girafe. Irma, hurlante, court en coulisses et ressort en tenue de ville : ‘’je m’en vais, mais je me vengerai’’ dit-elle en quittant les lieux. M. le Maire est à nouveau effondré. Pétrus propose alors Marie pour remplacer Irma : ‘’Mademoiselle Quillouch a-t-elle un sale caractère ?’’. ‘’Plutôt’’ répond l’oncle Corentin. Et moi de surenchérir : ‘’Y a pas plus sale !‘’ Je dis cela qui est la vérité, vous le devinez, pour rendre service à ma cousine. Le film a finalement été tourné et sur l’affiche on peut lire ‘’Le mariage de Mademoiselle Irma, avec Marie Quillouch’’. Mais le film n’a pas été projeté : dès la première scène, il y a eu un charivari effroyable dans la salle. C’était une cabale montée par la première actrice de ‘’Mademoiselle Irma’’ qui se vengeait comme elle l’avait annoncé.
Beaucoup plus tard, je retrouve Loulotte et je l’accompagne à un cinéma pour la jeunesse (oui, ma Loulotte chérie, dont j’ai été la nourrice, puis la gouvernante). La placeuse nous guide vers nos fauteuils. Je mets mon pourboire dans sa main et elle me dit : ‘’Merci Bécassine’’. C’est Marie ! Ma surprise passée, je lui demande comment elle va et si elle est contente. Elle me répond : ‘’ça va, je gagne bien ma vie et j’ai un emploi presque artistique’’.
En 1950
Loulotte vient me chercher chez mes parents à Clocher-les-Bécasses. Cette fois j’étions incrédule. Mais cependant c’était bien vrai… On s’étreint. Elle est devenue vedette de cinéma ! Elle a choisi de s’appeler ‘’Loyse Armor’’ pour rendre hommage à sa Bretagne natale. On appelle ça un ‘’pseudonyme’’ ou un ‘’pneudonyme’’… je ne sais plus. Sur les affiches, ma Loulotte a les cheveux à moitié verts et des dents à moitié bleues. Les artistes qui font les affiches ont de drôles d’idées !
Et savez-vous pourquoi Loulotte vient-elle me chercher ?... Pour être son ‘’habilleuse’’ dans le film qu’elle va tourner ! Une nouvelle existence, un nouveau travail et dans un studio de cinéma : que je suis heureuse ! Le tournage se passe au studio de ‘’Boulancourt’’ gardé par Monsieur Gardefer ; il veille à ce qu’aucun importun ne passe. Il est accompagné de deux énormes chiens : Tambour et Trompette. La séance d’habillage commence : ‘’Ma toilette pour la scène d’aujourd’hui – dit Loulotte en montrant une somptueuse robe à paniers – allons habilleuse, fais ton travail !’’ Mais j’entends à côté une autre actrice : ‘’Me donner un rôle aussi court, à moi, Gloria Soleil, une artiste qu’on s’arrache ! Qui a joué devant le Négus et le Shah de Perse ! Et on a réservé le rôle principal à cette pécore de Loyse Armor !’’ Loulotte me dit : ‘’Ne te tourmente pas ainsi : Gloria Soleil, Marie-Antoinette, a un rôle moins important que le mien. Voilà la raison de sa colère !’’ Puis c’est le défilé. Du maquilleur Barbouilloff, du bottier, du coiffeur. L’opérateur achève de régler les éclairages. Monsieur Tourniquet explique à Loyse et à Gloria la scène. Il crie ‘’Moteur’’. L’appareil de prises de vues se met en marche. Aussitôt un machiniste vient se placer devant. Il présente une ardoise, on lit ‘’Cœurs intrépides 127 - 1ère fois’’. Il actionne une planchette sous l’ardoise ‘’Clac’’. Il se retire prestement ‘’Partez !’’.
Gloria m’énerve. Il faut toujours recommencer à cause d’elle. Je m’éloigne. Loulotte me demande d’assister à la réception donnée à l’occasion du premier tour de manivelle. La manivelle n’existe plus ; mais c’est pour se souvenir (rappelez-vous du ‘’marchand de café’’ de 1917) qu’on a gardé l’expression et l’habitude de cette réception après le tournage de la première scène. J’aide le maître d’hôtel. Un vieillard s’approche du buffet, en costume râpé, à la mise modeste, je vide l’assiette de pâtisseries dans une assiette en papier et je lui offre en disant : ‘’Monsieur Lerat, le producteur, est assez riche pour vous l’offrir’’. ‘’Je n’en doute pas, d’autant moins que M. Lerat c’est moi’’. Je reste là, mortifiée, avec les pâtisseries. M. Lerat, l’opulent producteur, est propriétaire de trois immeubles aux Champs-Elysées, d’un yacht, et de deux châteaux. Mon bon cœur m’a joué encore un vilain tour… J’ai encore fait d’autres ‘’gaffes’’ à la réception. Un journaliste reconnaissant vient me dire : ‘’Grâce à vous, je tiens un papier formidable, au moins, j’aurai quelque chose à raconter !... Ah ! ça oui, encore merci !’’
Le tournage du film ‘’Cœurs intrépides’’ se poursuit. Le courageux marquis de Corneval, fiancé de Delphine (Loulotte) découvre le guet-apens des conspirateurs qui veulent ‘’enlever’’ la reine le jour où elle doit se rendre à son palais de Versailles. Il rejoint Delphine (suivant de Marie-Antoinette) aux Tuileries. ‘’Chère fiancée, de gros dangers menacent notre Reine. Il faut la sauver’’. Tous deux mettent en place un stratagème (fausse reine enlevée, bandits arrêtés par les Dragons conduits par le marquis de Corneval qui ‘’caracolait’’ tant qu’il pouvait). Marie-Antoinette, à Versailles, apprend toute la combinaison. Elle dit à Delphine et à son fiancé : ‘’Nous célébrerons la semaine prochaine votre mariage dans les jardins du Trianon et, cher Marquis, je vous fais Duc’’. Voilà l’histoire que je vous écris mes chers Parents et je vous joins une photo qui paraîtra dans ‘’Ciné-Vedettes’’. Retenez-le chez la mercière. Maintenant, je voudrais vous dire que… Mais je crois que je vais m’endormir. Excusez-moi… A Clocher-les-Bécasses, des petits groupes, sur la place du village, se rassemblent autour de la photo de ‘’Ciné-Vedettes’’…
Puis j’ai la joie de retrouver Monsieur Proey-Minans. C’est un homme très instruit dans tout ce qui est historique et les gens de cinéma ne le sont pas toujours ! Il est engagé comme conseiller artistique vu que le film se passe sous Louis XVI. C’est lui qui contrôle si les décors, les costumes, les bibelots, ‘’cettera’’ sont bien d’époque… Puis j’ai aussi la joie de voir arriver Madame la Marquise de Grand-Air. Loulotte lui présente les gens qui font le film et qu’on ne voit jamais quand on va au cinéma. Ainsi, elle a vu le metteur en scène, le chef-opérateur, le régisseur, les assistants… en plein travail. Dans une scène, Gloria Soleil doit danser la gavotte (c’est Marie-Antoinette qui a lancé cette danse). M. Proey-Minans, le conseiller artistique, intervient : ‘’Cela ne va pas ; les pas sont inexacts, Melle Soleil confond avec la passacaille et le rigaudon. Je vais faire une démonstration avec Bécassine. La gavotte se danse toujours en Bretagne et d’une façon très correcte’’. Toute l’assistance applaudit à la fin. M. Proey-Minans fait sortir un pompier qui était dans le décor : ‘’Pas de pompier à la cour de Louis XVI ! Encore un anachronisme !’’ Rudement vexé d’avoir été traité de ‘’nanachronisme’’, le pompier est sorti sans répondre. Maintenant on cherche Louis XVI. On le trouve perché sur une chaise : ‘’Y a pas de raison d’être payé pareil après six heures ! Il faut réclamer les heures supplémentaires des figurants au tarif double’’. Maintenant on vient me chercher pour réparer le fauteuil de Monsieur Tourniquet (on ne peut pas se passer de moi !). Je recouds la sangle du siège, Monsieur Proey-Minans s’approche et demande si le fauteuil est en corde. Aussitôt grande clameur ; on réclame une tournée générale (le mot ‘’corde’’ ne doit jamais être prononcé au studio ni dans les coulisses de théâtre). Monsieur Lerat s’assoit dans le fauteuil ; nouvelle clameur : quand on s’assoit sur le fauteuil du metteur en scène, il faut aussi offrir à boire. Il en fait une tête M. Lerat ! (il passe subitement du jaune, sa couleur habituelle, au vert).
On filme maintenant un long dialogue entre la reine et sa suivante. C’est très lent. Le cameraman filme alternativement les deux personnages. Je propose alors à Monsieur Tourniquet de prendre deux appareils au lieu d’un : le premier pour Mme Soleil, le deuxième pour Mlle Armor. Comme ça, elles ont l’air de parler naturel et, quand il y en a une qui ne dit rien, on photographie ce qu’elle pense sur son visage. On essaie le procédé. M. Tourniquet est satisfait.
Pub
M. Tourniquet me fait demander : ‘’Vous allez faire vos débuts de vedette ! Un fabricant de crêpes bretonnes a commandé un film publicitaire pour présenter ses produits’’. Je dois déguster une crêpe d’un air gourmant en disant : ‘’La crêpe Bécassine est la meilleure, on peut en manger plus de cent à l’heure’’.
- ‘’Dites-moi, M. Tourniquet, combien de temps ça va durer la séance ? ‘’
- ‘’Une heure à peu près’’.
- ‘’Alors, il faut que j’en mange plus de cent crêpes ?’’
- ‘’Mais non ! C’est de la publicité, voilà tout’’.
- ‘’Alors, ce n’est pas vrai ?’’
- ‘’Mais si ! - affirme le fabricant vexé.
M. Tourniquet lance son habituel ‘’Partez !’’. On recommence cinq fois, six fois pour des motifs divers : on ne comprend rien, j’ai la bouche pleine ; je tiens la crêpe comme un cigare… Le fabricant me fait des yeux terribles. Bravement, je m’impose une expression gourmande, mais je me sens de plus en plus mal à l’aise.
- ‘’C’est bon pour moi’’, dit le metteur en scène.
- ‘’C’est bon pour le son’’, dit l’ingénieur du son.
-‘’Oui, mais c’est mauvais pour l’estomac. J’ai une indigestion de crêpes’’ que je leur réponds.
Ouf, le film est terminé ! Et maintenant, je vais vous dire, moi, les crêpes, j’ai horreur de ça !
Une superbe caméra Pathé-Baby
On donne le dernier tour de manivelle de ’Cœurs intrépides’’. Je suis bien triste, comment pourrai-je vivre en dehors de la cour de Louis XVI ? Loulotte vient me chercher pour aller au banquet de la production qui se déroulera dans un restaurant des Champs-Elysées…
M. Tourniquet prend la parole : ‘’Bécassine, vous avez été la providence du plateau, vous avez fait gagner trois jours de tournage à la production et nous vous devons tous des remerciements. C’est au nom de tous que je vous remets ceci’’.
C’est une superbe caméra Pathé-Baby ! ‘’Alors, je vais faire de la mise en scène, et je prendrai Lou… non, Loyse Armor comme vedette !’’
Me voilà avec une nouvelle corde à mon arc ! ‘’Corde’’… Ça y est ! Je dois une tournée générale (voyez, j’ai déjà le réflexe !). Ah, mais non ! Nous ne sommes plus au studio...
Petites confidences
J’ai oublié de vous dire et, comme je ne veux pas vous faire manquer une occasion de sourire, je vous l’écris dès à présent. Quand je réparions la sangle du fauteuil du metteur en scène, j’entendions M. Lerat furieux, s’adressant au metteur en scène et au régisseur : ‘’Je ne veux plus de ce Louis XVI ! Vous en convoquerez un autre ! Et puis, arrangez-vous pour ne pas faire d’heures supplémentaires, cette production me coûte déjà assez cher !’’ N’ai-je pas eu raison de réparer cet oubli ?
Je suis aussi votre cousine contemporaine car j’ai un ordinateur et, avec ‘’heinternaitte’’, j’envoie des ‘’himailles’’ :
Envoyé : dimanche 16 mars 2008 20.56
Ma chère Loulotte.
Comment vas-tu ? Si tu n’as pas de projet, je te propose un rôle dans le film dont j’ai commencé à écrire le scénario. Qu’en penses-tu ? Je t’attends avec la caméra.
xxxxxxxxxx
xx Kiss xx
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J’ai aussi le téléphone portable. Comme c’est pratique de parler avec Loulotte, étant dans le jardin, admirant la rhubarbe toute neuve !
Bécassinement vôtre. Décembre 2008.
Liliane BLANADET
Annexes : Infos-Ciné déc 2008
- Bande annonce de Bécassine au studio – Juin 1950 – Dessinée par Pinchon, parue dans ‘’La Semaine de Suzette’’.
- Bécassine (1940) – Film de Pierre Caron, avec Paulette Dubost (Bécassine) et Max Dearly.
- Bécassine et le trésor viking (2001) – Dessin animé de Philippe Vidal.
Sources :
- Bécassine, une légende du siècle – Bernard Lehembre – Hachette – Janvier 2005.
- Bécassine inconnue – Marie-Anne Couderc – CNRS Editions – Janvier 2000.
- Album B.D. : Bécassine chez les Alliés - 1917.
- Album B.D. – Bécassine cherche un emploi - 1937
- Album B.D : Bécassine au studio - 1950.
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Il y a trois ans je ne connaissais pas Bécassine ou plutôt je souriais quand ma mamy en parlait...
Depuis que je lis ce que vous écrivez sur elle, j'ai dix albums dans ma bibliothèque et j'aimerais les avoir tous.
Ses aventures sont très drôles!
Ilona Angoulême, ( Ici on aime bien les bandes dessinées)
Rédigé par : Ilona | 12 mars 2009 à 14:08