Le 18 août, Mauricette Chappuy a eu 77 ans. Sa vie fait penser à un roman de Zola ou de Victor Hugo. Après une séparation conjugale, son père, mineur, quitte les Vosges avec ses deux enfants pour la Belgique où il se met en ménage avec une Flamande. Commence alors un véritable calvaire pour la fillette. « Ma belle-mère était une marâtre. Elle m’en voulait parce que je ressemblais à ma mère. J’étais son souffre-douleur et les coups pleuvaient pour un rien. J’endossais les bêtises de mon frère Claude, plus jeune d’un an, pour ne pas qu’il soit battu. Je ne me rebiffais jamais. Comme il y avait 6 bouches à nourrir, 4 filles et 2 garçons, elle m’a vendue à des Romanichels qui passaient dans la région pour se débarrasser de moi. C’était juste après ma communion, j’avais 12 ans » soupire la petite femme, encore très alerte pour son âge.
Funambule sur le Niagara
La troupe de saltimbanques part en tournée dans l’est de la France, avant de prendre le bateau pour le Canada. Par deux fois, sous les yeux d’un public éberlué et retenant son souffle, Mauricette traverse les chutes du Niagara sur un fil tendu 50 m au-dessus de l’eau. « Gilbert, mon patron, m’a donné des espadrilles, mis de la résine sous les semelles, collé un balancier dans les mains et m’a dit ‘’Vas-y !’’. Même sans filet, je n’avais pas peur ». La seule photo immortalisant cet exploit a été confiée, mais hélas jamais restituée. En plus de ses acrobaties, Mauricette a un numéro avec un boa autour du cou qui la répugne. La petite troupe revient en France et s’installe à Paris, porte de la Villette.
La vie de Cosette
Son quotidien ressemble alors à celui de la petite héroïne de Victor Hugo, sauf qu’ici Jean Valjean est aux abonnés absents. Henri et Yvonne Mahieu, un couple de forains, prennent pitié d’elle quand, un soir, elle frappe à la porte de leur caravane, maigre, pieds nus et en haillons, pour réclamer un cachet d’aspirine afin de calmer son mal de dents. « Ils ont été très gentils avec moi et sont allés discuter avec Gilbert. On peut dire qu’ils m’ont sauvé la vie. J’ai travaillé avec eux pendant 10 ans, en tenant un manège ». A 24 ans, Mauricette se marie et donne naissance à deux garçons, Henri et Didier. Les infidélités de son époux l’obligent à divorcer au bout de 7 ans. Elle s’inscrit à la mairie du 17e arrondissement qui lui trouve un emploi dans une cantine scolaire. Par la suite, elle emménage avec ses deux enfants à Boissy-Saint-Léger (94) où elle rencontrera, en 1975, Michel Chapon, son compagnon depuis.
Elle pardonne à sa belle-mère
En 1989, son fils Henri se retrouve paralysé à 26 ans après un accident de moto dans le bois de Brou-sur-Chantereine. Mauricette s’installe à Villevaudé, dans le petit abri du jardin parternel qu’elle agrandit, pour être près de lui. Mais Henri meurt d’asphyxie 10 ans plus tard. En 2006, elle perdra un de ses deux petits-fils, Vincent, âgé de 22 ans, dans un accident de voiture. « Une fois de plus, c’est la foi qui m’a sauvée. Sans elle, je serais morte de chagrin depuis longtemps. J’ai beaucoup trop souffert pour avoir peur aujourd’hui de la mort ».
Entourée de Georges Verger et Guy Gilbert, au Pin
Au repas des seniors à Villevaudé, avec Liliane Blanadet...
La Villevaudéenne aime les bêtes. Chez elle, c’est l’arche de Noé : 30 colombes, 5 chats, 3 chiens, 3 oies, des lapins, poules, pigeons, cailles, perdrix… Elle aime aussi son prochain. « Ma belle-mère m’a demandé pardon sur son lit de mort. Je lui ai donné car j’aime tout le monde. Il n’y a ni rancune ni vengeance chez moi ». Si Mauricette a accepté de raconter sa terrible histoire, c’est parce que tous les protagonistes ont disparu. Avant, il était hors de question pour elle qu’ils soient inquiétés. S.Moroy
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