FRANCOIS NOURISSIER
GRASSET
Les récepteurs de radio, alors appelés postes de TSF, offraient au rêve, imprimés au dos d'une vitre et plongés dans la pénombre verte où un curseur allait les débusquer, les noms d'émetteurs exotiques, de stations improbables.
Mystérieusement, Bratislava attirait toujours mon regard. Si les quatre syllabes rocailleuses, baignées d'eaux danubiennes et de songes slaves, ne m'avaient pas ainsi fasciné, ce livre n'eût sans doute pas existé. Ma vie en eût été changée, comme est détourné le cours d'un ruisseau : serais-je allé là-bas, en 1947, fêter mes vingt ans ? Y serais-je retourné, la cinquantaine bien entamée, à la poursuite d'images presque effacées mais douées de la patiente insistance des songes ou de l'oubli ?
En somme, Bratislava est un exercice de mémoire.
J'ai passé des heures, en 1986, à la recherche de lieux que la ville semblait avoir escamotés. Où est la vaste cour, comme d'une caserne ou d'un monastère, décorée de ce pavillon rococo devant lequel était dressée, pour l'orchestre, une estrade ? Le béton communiste avait recouvert mes souvenirs en même temps qu'un quartier de la ville : l'ancien ghetto, les abords du pont sur le Danube.
Abandonné à l'incertitude par la défaillance d'une mémoire plus usée que je ne le croyais, je compris comment, à partir des mêmes faits, avérés ou réinventés, on peut glisser au roman, à la confidence, à la nostalgie, qui sont des degrés de l'oubli.
" Exercice de mémoire " : expression trop scolaire. Comme d'autres de mes livres, Bratislava est un aveu, un compromis entre mes peurs et mes chansons, un cabotage au long de mon littoral. Mais quelle mer le baigne-t-elle ?
A quelle heure sont attendues les grandes marées, prévus les grands départs ? Serai-je prêt ? F.N.
François Nourissier, pilier de l'Académie Goncourt, est mort le 15 février 2011. Sa passion de la littérature, ses grandes qualités humaines, sa sensibilité, sa générosité, son érudition qu'il a mise au service des lettres font de lui un immense écrivain.
Plusisurs ouvrages sont disponibles à la bibliothèque: L'eau grise, La fête des pères, le gardien des ruines, En avant, calme et droit, L'empire des nuages.
Photo Andersen SIPA
Hommage de Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication, à François Nourissier
On l’appelait volontiers « le pape des lettres », certains voyaient d’abord en lui le Président de l’Académie Goncourt ; le critique estimé, l’homme d’influence qui reconnaît et valorise les talents. L’auteur d’Un petit bourgeois, d’une Histoire française, du Maître de maison, du Musée de l’homme était d’abord un écrivain remarquable et un observateur particulièrement lucide de l’âme humaine, à commencer par la sienne.
Le grand pouvoir qui, de fait, était le sien dans le monde littéraire n’avait pourtant pas fait de lui un conformiste ou un homme qui veut d’abord être imité. Il savait aller à contre-courant, oser le contre-pied, et, déjouant toutes les stratégies que les grands prix littéraires peuvent susciter, défendre tout simplement un talent inattendu et le défendre parce qu’il l’aimait.
François Nourissier souffrait depuis longtemps d’une grave maladie dont il avait su faire un personnage de roman. Belle manière, courageuse, d’affronter l’adversité. Il aura pour ainsi dire passé sa vie plume à la main, pour écrire ses livres ou annoter ceux des autres. Une vie d’homme de lettres qui s’arrête au milieu d’une phrase.
Source : http://www.culture.gouv.fr
A consulter Liberation.fr
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