"Dernier survivant d'une partie du cinéma français" déclarait-il en 2004 lors de la sortie d'un livre de mémoires, Jean Delannoy est mort le mercredi 18 juin 2008.
Ses obsèques auront lieu aujourd'hui au temple de l'Oratoire du Louvre à Paris.
Un «monsieur»
Témoignage de Jean des Cars (20/06/2008)
L'historien Jean des Cars, très proche du cinéaste, témoigne sur celui qui fut considéré comme le survivant d'une autre époque, pour ne pas dire de la préhistoire.
Ce gentilhomme qui n'élevait jamais la voix et avait dirigé les plus grands, de Jean Marais à Jean Gabin en passant par Pierre Fresnay et Gina Lollobrigida, avait, dans son œuvre, résisté à tous les sarcasmes de la nouvelle vague, à toutes les critiques dites intellectuelles des années 1960.
Il avait conservé tous ses films en 16 mm
Il y a quelques mois, Michèle Morgan et Marina Vlady ont été saluer ce centenaire dans sa maison aux portes de la Normandie. Elles étaient très émues. Il avait conservé tous ses films en 16 mm et, en 2004, achevant mon livre Rodolphe et les secrets de Mayerling, je lui ai demandé de me prêter sa copie pour revoir ce long-métrage de 1949, courageux et toujours boycotté parce que le seul à défendre la thèse de l'assassinat de l'archiduc héritier, fils deSissi.
Il me dit : « Mais vous le trouverez en cassette. C'est plus simple ! » Certes, sauf que... la version vendue en cassette vidéo est amputée de sept minutes (sans aucune explication) et adopte donc l'éternelle thèse du double suicide… Quand je lui ai révélé cette incroyable censure clandestine de son œuvre, il me dit : « Eh bien, avec moi, vous avez un mystère de plus à ajouter à l'énigme de Mayerling ! ».
Un réalisateur qui incarnait soixante-quinze ans de cinéma, ainsi que l'a montré Pierre Unia dans un magnifique hommage où des talents d'une autre génération, comme Yves Boisset, reconnaissent celui de Jean Delannoy. Un cinéma très « français » a perdu l'un de ses maîtres.
Au revoir, cher Jean… (Le Figaro-Cinéma)
Hommage de Nicolas Sarkozy
Le président Nicolas Sarkozy a rendu hommage à Jean Delannoy, "un
immense réalisateur qui a consacré sa vie, avec succès, à sa passion de
l'art et a donc contribué au rayonnement de notre pays".
"Même s'il n'est plus là, ses oeuvres continueront à nous enchanter", a
affirmé le chef de l'Etat, dans un communiqué. Il cite "La Symphonie
Pastorale", "La princesse de Clèves", "Le Bossu".
"Mais l'oeuvre entre toutes, c'est 'Notre-Dame de Paris', film bouleversant d'émotion qui réunissait d'immenses acteurs et révélait les futurs grands", selon le président. (tempsreel.nouvelobs.com )
Jean Desailly, décédé le 13 juin 2008 dans " Maigret tend un piège" réalisé par Jean Delannoy
L'Abbé Pierre, Troyat, Aubrac, Brialy, Serrault, Pavarotti, Marceau, Salvador, Robbe-Grillet, Ponticelli, Césaire, Fersen, Tillion,Jeunesse, Risi,tous ces grands sont entrés dans l'histoire,une des missions des bibliothèques étant d'établir un échange,je me réjouis de voir que vous remplissez pleinement votre rôle en nous faisant part de l'hommage que vous leur rendez. Votre blog est très intéressant et la variété des messages agréable à la lecture.
Rédigé par : Cécile | 23 juin 2008 à 21:42
Est-ce l’empreinte du 9.3, car vous étiez né le 12 janvier 1908 à Noisy-le-Sec, en Seine Saint Denis, qui guidait toujours votre esprit de combattant et de provocation ?
Vous étiez le doyen des cinéastes français avec 58 longs-métrages dont certains pour des séries télévisées en tant que réalisateur et une quinzaine de films pour chacun de vos autres talents : scénariste, adaptateur et monteur. Passionné par la littérature française et les grands auteurs, vous avez gardé toute votre vie durant la nostalgie de vos études de lettres à la Sorbonne et probablement d’une carrière d’écrivain avortée d’où cette référence permanente au style.
Mais votre œuvre se caractérisait par une adaptation vivante et passionnée des plus beaux ouvrages de notre catalogue littéraire avec des auteurs comme Victor Hugo, Gide, Cocteau, Mme de Lafayette, Simenon, l’Abbé Prévost, Sartre …
Voilà douze ans que vous n’aviez pas tourné de films et que vous viviez une retraite paisible dans votre manoir d’Eure-et-Loir. Mais vous aviez gardé une haine tenace pour la Nouvelle vague, et plus particulièrement envers François Truffaut, né à Neuilly-sur-Seine, lui, et qui était le plus populaire des cinéastes français, lequel dans la revue ‘’Les Cahiers du Cinéma’’ critiquait ses contemporains en les présentant comme de ‘’simples exécutants de films sur commande ou de techniciens de l’image sans créativité ni dimension artistique’’... Des propos tout à fait inacceptables pour l'homme, l'artisan, l'orfèvre que vous fûtes... Pourtant, modestement, vous déclariez alors : "mon style n'est pas un style''.
Si la plupart de vos films restaient dans l’ombre, vous avez malgré tout laissé des œuvres immortelles telles Le Bossu (1944), La Symphonie Pastorale (1946), Dieu a besoin des Hommes (1950), Notre Dame de Paris (1956), Marie-Antoinette (1958), Les amitiés particulières (1964), Le soleil des voyous (1966)… Mon âme d'enfant, quant à elle, garde une émotion particulière pour votre film "Chiens perdus sans collier" (1955) que vous avez adapté avec d'après le roman de G. Cesbron.
Par la qualité de votre travail, vous avez grandement mérité vos distinctions :
- En 1946 : Grand prix du festival de Cannes
- En 1950 : Prix international de Venise
- En 1986 : César d’honneur pour l’ensemble de sa carrière
Vous sembliez n’avoir vécu que pour le cinéma et pourtant, de par vos études de lettres, rien ne vous prédestinait à cette gloire… sans un coup de pouce du destin. Votre sœur Henriette (déjà comédienne de théâtre et de cinéma) vous entraîna sans trop de conviction. ‘’J’ai fait un peu de cinéma muet comme acteur, mais c’était assez pénible car on avait les yeux littéralement brûlés par les arcs. Très vite, j’ai lâché, mais je n’ai pas repris mes études’’.
Quelques petits boulots de critique d’art, journaliste et décorateur et vous passâtes de l’autre coté de la caméra en faisant des courts-métrages pour la Paramount. Puis, les choses s’enchaînèrent naturellement par des longs-métrages avec une passion qui s’installa pour cet art maîtrisé avec autorité et perfection.
Cocteau n’était pas d’accord pour le choix de l’actrice qui jouerait la Princesse de Clèves et voulait se retirer de l’affiche. Vous aviez malgré tout imposé Marina Vlady. Gide fut prié de ne pas participer au scénario de ''La Symphonie pastorale'', vous disiez alors que ‘’l’auteur du livre n’était pas le plus à même d’en extraire toute la substance cinématographique’’...
Vous restiez fidèle à vos convictions, mais aussi aux personnes avec qui vous avez travaillé. Vous avez dirigé trois fois Gina Lollobrigida dans ''Notre-Dame de Paris'' puis dans ''Vénus Impériale'' en 1963 et, enfin, dans ''Les Sultans'' en 1966. Il en est de même pour Gabin dans les deux Maigret (Maigret tend un piège, L’Affaire Saint-Fiacre) et ''Le Baron de l’écluse''. Dans ce dernier film, vous aviez imposé le monocle à Gabin. Après un premier essayage, il revint furieux ‘’ça ne tient pas, on le bazarde !’’, après que vous ayez insisté, il ne le quitta plus. ‘’C’était un vrai gosse, Gabin. Vraiment un drôle de mec’’.
Vous avez toujours manifesté beaucoup de grandeur et de tendresse sauvage pour tous les portraits d’hommes et de femmes que vous avez portés à l’écran.
Vous avez poussé votre passion jusqu’au mystique pour nous étonner ou pour révéler une vérité ! De religion protestante, vous terminez votre œuvre par une trilogie sur la foi de Bernadette et de Marie de Nazareth.
Enfin, les enfants sont pour vous une source de grand bonheur : ‘’La vie d’artiste n’est pas la chose facile que l’on croit. On se retrouve dans des complots qui n’ont rien à faire avec le film. Et les acteurs ne sont pas faciles à diriger… Sauf les enfants. J’aimais beaucoup les diriger. Çà me vient de ma mère qui était directrice d’école à Aubervilliers. J’ai suivi sa voie’’.
Et vous avez confié, lors de votre dernier anniversaire, le 12 janvier 2008, avec un beau mais triste sourire :
‘’Ah, mes enfants jolis, 100 ans, ça fait beaucoup quand même ! Je ne sais pas ce que ça durera, mais enfin… Pour l’instant, je ne fais plus de films. Car, hélas, je n’ai que mes 100 ans pour projet’’.
Reposez en paix, Monsieur Jean Delannoy. Et soyez sûr que ceux qui aiment le beau, le vrai, le grand cinéma, c'est-à-dire celui qui vous ravit et vous transporte, ne vous oublieront jamais.
Rédigé par : Serge | 03 septembre 2008 à 21:51