Jacques Becker vérifie un plan sur la place de l’église d’Annet-sur-Marne (photo Pierre Dubreuil)
Jacques Becker n’aura réalisé que 14 films entre 1939 et 1960, mais quels films ! « Goupi mains-rouges », « Touchez pas au grisbi », « Ali-Baba et les 40 voleurs » et… « Casque d’or » qui constitue l’une de ses plus belles réussites. Georges Sadoul, l’historien du cinéma, définissait le film comme « son œuvre plastiquement la plus parfaite ». Sans doute les bords de Marne auront-ils inspiré le réalisateur parisien durant ce bel été 1951…
Le bourreau (au premier plan) était boucher à Meaux ! (photo Pierre Dubreuil)
Dans cette chronique des bas-fonds de Paris, Jacques Becker a su donner vie à une galerie de personnages dont la justesse éclate à l’écran, sans jamais tomber dans les travers d’une peinture folklorique sur la Belle Epoque. L’époque est d’ailleurs plus évoquée que reconstituée car l’essentiel réside dans l’histoire du drame (réel) romancé. Casque d’or fait preuve d’une belle humanité et exalte un hymne à l’amour impossible entre une fille de joie et un ouvrier. Les comédiens sont portés par cet état de grâce que Simone Signoret évoquait dans « La nostalgie n’est plus ce qu’elle était », son livre paru en 1976 : « Casque d’or, c’est un grand chant très simple à la gloire de l’amour et de l’amitié. On avait tous été en état de grâce pendant le tournage. Jacques était amoureux d’Annette, [Ndlr : Annette Wademant, scénariste] et son amour de l’amour passait dans ses images. Moi, j’étais amoureuse de Montand, et Manda en profitait, et comme Manda c’était Serge, c’était délicieusement incestueux de faire semblant de s’aimer autrement, alors qu’on s’aimait si bien depuis si longtemps. Et Jacques nous aimait tous. On avait passé huit semaines à « s’amuser », passionnellement, et les gens ne comprenaient pas notre film »...
Rendez-vous raté avec le public
Effectivement le succès ne sera pas au rendez-vous lors de la sortie du film. Serge Reggiani confiait en décembre 1995 au critique Claude-Jean Philippe que « le public s’attendait à un polar, alors que c’était un film d’amour. Quand le film est parti à l’étranger, il a eu un succès énorme, et c’est à son retour en France, avec ses lauriers, qu’il a reçu un triomphe »… Simone Signoret obtiendra son premier trophée étranger avec ce film. Il faudra pourtant attendre encore 10 ans pour que Casque d’or soit projeté dans un cinéma parisien. « L’une des plus belles histoires que le cinéma français ait racontées » publiait Le journal du Dimanche. Hélas, Jacques Becker était mort avant d’avoir connu cette gloire tardive.
Un figurant annetois de 24 ans
Pierre Dubreuil, ancien notaire et maire d’Annet, se souvient très bien du film. Et pour cause, il avait 24 ans et eut la chance de participer au tournage. « Passionné de cinéma, je venais de rater le concours d’entrée à l’IDHEC (Institut des Hautes Etudes Cinématographiques). J’ai donc poursuivi mes études de droit et me suis consolé en fréquentant le plateau de « Casque d’or » où j’ai pu interpréter trois rôles de figuration et prendre quelques photos. Le tournage a débuté à Annet avant de se poursuivre ensuite sur Paris. Il a duré une dizaine de jours et plusieurs figurants ont été recrutés parmi les habitants des environs car c’était la période des vacances. C’était aussi avant mon départ début octobre 1951 au service militaire au cours duquel j’ai rencontré Alain Kaminker… le frère de Simone Signoret ! Le plan d’ouverture où l’on voit les barques accoster a été tourné sur la rive de Jablines, après le petit pont. En revanche, la guinguette est reconstituée en studio. L’évasion des prisonniers fut filmée devant la prison de la Santé, à Paris, mais la discussion entre Bussières et Reggiani dans le fourgon cellulaire a été enregistrée à Annet. Dans une grange du château d’Etry, les techniciens ont construit une grosse caisse en bois monté sur ressorts dans laquelle prirent place les acteurs. Un machiniste la secouait pour simuler les tressautements du fourgon pendant qu’un autre passait régulièrement une branche d’arbre devant un projecteur pour créer les ombres du paysage qui défile…. Quand le film est sorti à Paris le 16 avril 1952, mon père qui était maire a affrété un car pour que les habitants puissent aller le voir au Studio-Haussmann, dont le gérant était depuis 1937 Paul-Ernest Valentin, ancien maire d’Annet ».
Une vraie guillotine !
Intarissable lorsqu’il évoque ce chef-d’œuvre qui l’a passionné et sur lequel il s’est abondamment documenté, Pierre Dubreuil poursuit. « Jacques Becker était un réalisateur très exigeant. C’est lui-même qui avait choisi les logements des acteurs sur Annet. Simone Signoret logeait dans le centre ville, à l’hôtel des voyageurs situé Grande rue à l’époque, aujourd’hui 64 rue Charles de Gaulle. Pas d’eau courante et les commodités au fond du jardin. Amoureuse, elle allait tous les jours au bureau de poste téléphoner à Montand qui tournait avec Clouzot « Le salaire de la peur » à la bambouseraie d’Anduze, dans le Gard. Serge Reggiani logeait au Canard qui fume (l’actuel restaurant marocain Le Pacha). Il reviendra dans ce même hôtel 18 ans plus tard lorsqu’il tournera « L’empreinte des géants » de Robert Enrico et se souviendra du lieu. Claude Dauphin rentrait sur Paris le soir même. Il n’a tourné qu’une seule scène, celle sur la place de l’église Saint-Germain, enregistrée en une journée. A l’époque c’était un très grand acteur. Pour preuve, il avait son propre siège à son nom. La séquence où Marie arrive en canot sur la Marne pour rejoindre Manda a été filmée à Trilbardou, en amont du château, juste avant le barrage. La petite maison où ils s’aiment – et qui n’existe plus – se trouvait dans le parc du château de Claye-Souilly, derrière l’IME La Gabrielle aujourd’hui. A l’intérieur de l’église, ce sont les demoiselles Chevance, deux sœurs, qui jouent de l’harmonium pendant le (faux) mariage célébré par le (vrai) curé d’Annet, l’abbé Henri Benoist. Les mariés étaient des jeunes gens du village et Jean-Claude Auzias, alors âgé de 11 ans, interprétait l’enfant de chœur. Il deviendra médecin et réside toujours à Annet. Le décor final de la guillotine a été campé dans la cour de la maison d’arrêt de Meaux, rue Fatou. L’équipe est partie en car le matin et on a filmé toute la journée. Becker avait réquisitionné une grande échelle de pompier sur laquelle il a filmé le panoramique vertical sur la prison. Reggiani a dû répéter douze fois la scène du banc de la guillotine avant que Becker n’accepte la prise ».
Et Pierre Dubreuil de conclure avec une pointe d’humour … « A propos de cette guillotine, les détenus de la prison n’en menaient pas large car ils pensaient qu’elle avait été installée la veille pour l’un d’entre eux ! Le curé qui accompagne Manda vers la guillotine était un figurant professionnel qui habitait Thorigny ; et le bourreau… c’était un boucher qui exerçait à Meaux ! »
L’histoire du film
Un dimanche d’automne 1898, la « bande à Leca » (Claude Dauphin) débarque dans une guinguette avec « leurs femmes ». Pour provoquer Roland, « son homme », l’une d’elles, Marie (Simone Signoret) invite à danser un ouvrier charpentier, Georges Manda (Serge Reggiani), ex-compagnon de prison de Raymond (Raymond Bussières). Jaloux, Roland, provoque Manda qui l’étend raide d’un uppercut. Leca, amoureux de Casque d’or, lui donne rendez-vous dans un bal populaire de Belleville où se retrouvent également Manda et Roland. L’affrontement est inévitable. Manda poignarde mortellement Roland. Casque d’or et Manda se retrouvent dans une petite maison à Joinville. Jaloux de la fugue de Marie, Leca, pour éliminer son rival, dénonce Raymond à la police comme auteur du meurtre. Comme prévu, Manda se livre, ne supportant pas que son ami soit condamné à sa place. Lors d’un transfert de prison, Manda et Raymond s’évadent mais ce dernier est mortellement blessé. Informé de la trahison, Manda abat Leca. Arrêté, il sera guillotiné. D’une fenêtre, Marie assiste impuissante à son exécution.
Et la vérité sur Casque d’or
La véritable Casque d’or a défrayé l’actualité de la Belle Époque. Les journaux relatèrent une guerre opposant deux bandes rivales de voyous des quartiers nord-est de la capitale. L'enjeu du conflit était une jeune prostituée de 22 ans, Amélie Elie née le 14 mars 1878 à Orléans. Elle se rachètera une conduite en épousant en janvier 1917 André-Alexandre Nardin, un cordonnier, avant de décéder en avril 1933. En 1939 Jean Renoir songe à en faire un film, mais c’est Julien Duvivier qui est pressenti pour le réaliser avec Jean Gabin dans le rôle de Manda. La guerre fait capoter le projet. En 1946, Jacques Becker écrit un scénario, puis Yves Allégret et Henri-Georges Clouzot reprennent successivement le projet. Ce sera finalement Jacques Becker qui rédigera un second scénario avec Jacques Companeez et qui débutera le film en septembre 1951. Serge Moroy
Photos: collection privée
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