une ambition allemande
Biographie
STEVEN BACH
Editions Jacqueline Chambon
Leni Riefenstahl (1902-2003) fait partie de ces artistes les plus controversés de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Elle créait des images avec l’ombre et la lumière, du mouvement, du courage physique et surtout une ambition sans bornes. Elle cherchait la beauté dans la nature, au sommet des montagnes, mais aussi dans les drapeaux des parades militaires, dans les compétitions sportives, dans la perfection morphologique et érotique des guerriers Massaï qu’elle photographiera beaucoup plus tard et, depuis le début, au plus profond d’elle-même. A 101 ans, Leni Riefenstahl mourut tranquillement chez elle dans son lit face à un portrait la représentant âgée de 30 ans dans son film ‘’La lumière bleue’’ (1). Elle n’avait aucun remords.
‘’Le Triomphe de la volonté’’ et ‘’Les Dieux du stade’’ restent les films phares de Leni Riefenstahl et figurent même parmi les deux plus grands documentaires jamais réalisés. Il n’est pas possible de les voir en Europe suite à une interdiction persistante car ces films sont des hymnes à la gloire d’Adolf Hitler, du IIIe Reich et de la nauséabonde idéologie nazie. Pourtant, toute sa vie, la cinéaste allemande prétendra ne s’être jamais intéressée qu’à l’art et à la beauté. Mensonge ou vérité ?
Je veux devenir quelque chose de grand (1920)
Après avoir débuté comme danseuse dans le Berlin des années 20, la jeune Leni fait une brève apparition dans ‘’Wege zu Kraft und Schönheit’’ (Chemins vers la force et la beauté - 1925), un long-métrage ‘’culturel’’ promouvant la culture physique et la gymnastique… dans le plus simple appareil. Elle rencontre le cinéaste Arnold Fanck (considéré alors comme le pionnier des films alpins) - qui devient son mentor et son amant - et obtient le premier rôle dans son film ‘’Der heilige Berg’’ (La montagne sacrée -1926). Comme en toutes choses qui la passionnent, Leni apprend vite et fait preuve d’un sens du cadrage et du montage impressionnant qu’elle confirme en 1932 avec son premier film ‘’Das blaue Licht’’ (La lumière bleue). Parmi ses admirateurs, un homme d’état en pleine ascension : Adolf Hitler. Leni réalise sur sa demande deux documentaires sur les congrès annuels de son parti à Nuremberg. Ce sera d’abord en 1933 ‘’Der Sieg des Glaubens’’ (La victoire de la foi) puis, l’année suivante, ‘’Triumph des Willens’’ (Le Triomphe de la volonté), grandiose hommage qui a le plus contribué à façonner le culte du Führer. ‘’Quiconque a vu le visage du Führer dans Le Triomphe de la volonté, ne peut l’oublier. Cette image le hantera jour et nuit et restera gravée dans son âme’’ dira Goebbels enthousiaste. Et la nouvelle égérie du IIIe Reich de surenchérir : ‘’Ce film ne contient aucune scène reconstituée. Tout y est vrai. C’est de l’histoire. Un pur film historique’’. Aujourd’hui encore, la vision que l’on a d’Hitler en orateur fascinant vient pour une bonne part de la façon dont la cinéaste l’a représenté dans ce film, même si c’est à Albert Speer que l’on doit la construction monumentale des décors et la mise en scène de l’iconographie nazie. Le philosophe allemand Walter Benjamin dira des Nazis qu’ils ‘’ont inventé l’esthétisation de la politique’’ et le journaliste américain William L. Shirer remarquera que ‘’ce qu’Hitler disait importait moins que la façon dont il le disait’’. Bénéficiant de l’estime du dictateur et surtout de son soutien financier, L. Riefenstahl réalise ensuite ‘’Olympia’’ (Les Dieux du stade), une ode pharaonique en deux parties (deux heures chacune) sur les jeux olympiques organisés à Berlin du 1er au 16 août 1936 dans laquelle elle exprime son esthétisme cinématographique grandiloquent car, comme elle le déclare volontiers ‘’Je n’aime pas faire les choses à moitié. Je déteste les moitiés’’. La première a lieu à Berlin le 20 avril 1938 pour coïncider avec le 49e anniversaire du Führer. Le succès en Allemagne est foudroyant. Son film remporte le premier prix (la coupe Mussolini) au festival de Venise de 1938, grâce à l’influence d’Adolf Hitler, au détriment de ‘’Quai des brumes’’ (Marcel Carné) et de ‘’Blanche-Neige et les sept nains’’ (Walt Disney). Alors Leni se met à rêver de Hollywood et se rend à New York fin octobre 1938 pour faire sa propre promotion. Mauvaise pub pour elle : dans la nuit du 9 au 10 novembre (cyniquement baptisée ‘’Nuit de cristal’’ par Goebbels), Hitler fait organiser par Reinhard Heydrich un vaste pogrom à travers l’Allemagne, prélude au génocide des Juifs. Les ligues américaines antinazies se mobilisent pour un boycott de celle qu’elles considèrent comme une ambassadrice d’Hitler. C’est réussi. Leni a fait le voyage pour rien : Hollywood ne veut pas d’elle.
De quoi suis-je coupable ? (1948)
Début septembre 1939, elle suit en tant que correspondante de guerre les troupes de la Wehrmacht qui envahissent la Pologne et assiste - bien qu’elle l’ait démenti - au premier massacre des Juifs polonais (Konskie, 12 septembre 1939). Le 14 juin 1940, elle se réjouit de la défaite de la France dans une lettre adressée à Hitler : ‘’C’est avec une joie indescriptible, profondément émus et remplis d’une ardente gratitude, que nous partageons avec vous, mon Führer, votre plus grande victoire et celle de l’Allemagne, l’entrée des troupes allemandes dans Paris. Vous dépassez tout ce que l’imagination humaine est en mesure de concevoir et accomplissez des choses sans parallèle dans l’histoire de l’humanité. Comment pourrions-nous vous remercier ? Vous féliciter serait une façon bien pauvre de vous exprimer les sentiments qui sont les miens’’. En septembre 1940 et avril 1942, pour les besoins de son film ‘’Tiefland’’ (une espagnolade dont elle est productrice-réalisatrice-scénariste et dans laquelle elle s’adjuge le premier rôle) qu’elle ne terminera qu’en 1953 (la première mondiale à Stuttgart le 11 février 1954 sera un bide), elle n’hésite pas à réquisitionner des figurants tziganes (dont des enfants) sortis des camps de transit de Maxglan (proche Salzburg) et de Marzahn (proche Berlin), avant d’être envoyés à Auschwitz-Birkenau où bon nombre d’entre eux seront exterminés. ‘’Aucun doute, aucun scrupule, aucune ombre, aucune hésitation n’entachait ma créativité, expliquera-t-elle plus tard. La seule lutte de l’artiste, c’est la lutte pour la perfection de son œuvre. Sa seule liberté, l’union de son idée avec sa création’’.
Compromise avec le régime et son chef suprême, L. Riefenstahl subira plusieurs procès de dénazification après guerre dont elle sortira toujours libre. Pourtant, jusqu’à la fin de sa vie, les mêmes accusations ressurgiront. Accusations auxquelles la cinéaste répondra invariablement : ‘’De quoi suis-je coupable ?’’. Elle ne fut jamais membre du parti nazi et c’est probablement ce qui la sauva face aux tribunaux qui la qualifièrent simplement de… ‘’Compagnon de route’’. Or, il faut savoir que seulement 5 % des Allemandes furent membres du parti nazi, le seul en Allemagne qui n’élut jamais une femme au Reichstag, mais L. Riefenstahl sut intriguer efficacement pour s’imposer dans le proche entourage d’Hitler… avant même que celui-ci n’accède au pouvoir. En 1948, Fräulein Riefenstahl a 46 ans et est célibataire. Il lui reste 55 années à vivre. Un temps qu’elle emploiera à un nouveau combat : sa réhabilitation, soit une cinquantaine de procès qu’elle intentera pour diffamation.
La vieille dame indigne
Ainsi, dans cette magistrale et passionnante biographie, Steven Bach (2) fait-il la lumière sur le destin singulier et ambigu de cette cinéaste qui coïncide avec la montée du nazisme qui s’explique plus par la profonde détresse des Allemands que par la force attractive de son idéologie essentiellement basée sur le racisme et l’antisémitisme. L’Allemagne essuie les conséquences de sa défaite de novembre 1918 et de la disparition de l’empire de Guillaume II. Elle subit de surcroît et de plein fouet la pire crise économique et sociale de son histoire. S’appuyant sur de nouvelles sources inédites, recoupant les informations entre elles, replaçant les événements dans leur contexte historique, tout cela grâce à un minutieux travail d’investigation, l’auteur démonte méthodiquement le mythe Riefenstahl. Il brosse le portrait sans fard et sans concession d’une femme hystérique et mégalo qui sacrifia tout pour réussir (allant jusqu’à cacher son ascendance juive par sa mère), animée qu’elle était d’une ambition féroce et sans limites ; tout cela sans jamais renier son admiration pour Hitler qui la fascinait, bien qu’elle ne le reconnut jamais comme l’un de ses (nombreux) amants. Steven Bach révèle ainsi les paradoxes, les dissimulations, les contradictions d’un personnage qui se disait apolitique et niait farouchement toute complicité avec le régime nazi.
Malgré ses reportages photographiques sur les tribus soudanaises en voie de disparition qu’elle entreprend à partir de 1962, Leni Riefenstahl restera dans les mémoires comme une opportuniste obsessionnelle (‘’J’utilisais tous les moyens à ma disposition pour arriver à mes fins. Il n’y avait rien que je ne pusse obtenir’’), certes douée pour le cinéma (3), mais extrêmement manipulatrice et qui ne fut, en fin de compte, victime que de sa propre vanité. A la faveur de la Nouvelle vague, et sans attendre les révisionnistes qui réécriront l’histoire dans les années 90 en gommant l’Holocauste, certains ont cru voir en elle une ‘’pionnière du documentaire’’ ou encore la ‘’mère du film moderne’’ (sic’). Inébranlable dans ses convictions, imperturbable dans sa quête artistique de la beauté, la cinéaste déclarait dans une lettre datée du 18 novembre 1958 que ‘’Personne n’a besoin de savoir qui [je] suis vraiment’’ paraphrasant Nietzche qui déclarait : ‘’Je suis trop fier pour croire qu’un homme m’aime. Cela suppose qu’il sache qui je suis’’.
Serge Moroy
Leni Riefensthal, une ambition allemande de Steven Bach – Biographie traduite de l’américain par Manuel Tricoteaux – 544 pages – Dimensions : 22,5 x 14,5 cm - Dépôt légal : mai 2008 – Editions : Jacqueline Chambon / Actes Sud – ISBN : 978-2-7427-7556-9 – Prix : 25 €.
(1) Dans ‘’La lumière bleue’’, Junta était un rôle que Leni avait imaginé pour elle à l’écran. Et c’est celui avec lequel elle devait constamment s’identifier ultérieurement. Surtout après la guerre. Selon elle, ce rôle préfigurait son histoire de façon allégorique : sa liberté et son innocente condamnées, victime de la cupidité et de la jalousie de ses ennemis insensibles à son idéalisme et à son amour de la beauté.
(2) Steven Bach est âgé de 68 ans. Il est l’auteur de deux autres biographies dont une sur Marlène Dietrich (1901-1922), autre compatriote berlinoise de L. Riefenstahl mais qui choisit une toute autre voie. Il fut auparavant producteur à la United Artists et c’est lui qui a notamment produit ‘’Manhattan’’ (Woody Allen) et ‘’Raging Bull’’ (Martin Scorsece).
L’un des talents de L. Riefenstahl aura été de s’entourer d’excellents cadreurs qu’elle considéra toujours comme ses employés, jamais comme ses assistants : Sepp Allgeier (La victoire de la foi, Le Triomphe de la volonté, Les Dieux du stade), Hans Schneeberger (La lumière bleue), Hans Ertl (Jour de liberté Les Dieux du stade), Walter Frentz (La victoire de la foi, Jour de liberté, Les Dieux du Stade), Willy Zielke (Les Dieux du stade) et Albert Benitz (Tiefland).
La plupart deviendront ses amants.
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