Ils ont filmé la guerre en couleur
Les trésors des archives,
L'histoire de leur découverte, le choc de la couleur
Editions Bayard
Après le succès rencontré par la série des émissions TV, un livre de « mémoire » se devait de voir le jour. C’est chose faite grâce à David Dufresne, chroniqueur et journaliste à ‘’Libération’’, qui s’est associé à René-Jean Bouyer, le réalisateur de la série « Ils ont filmé la guerre en couleur », pour éditer cet ouvrage consacré à la période 1939-1945, c’est-à-dire des préludes de la guerre en France jusqu’à sa libération par les Alliés.
Le livre offre une sélection des photogrammes les plus significatifs tirés des films argentiques 8 mm et 16 mm retrouvés parmi les descendants des protagonistes du conflit et les archives secrètes des pays belligérants. Le texte, même court, est important pour apporter un éclairage, un commentaire ou un complément d’information bienvenu (notamment sur les procédés de traitement du film couleurs selon les fabricants Agfa [pour l’Allemagne] ou Kodak [pour les Etats-Unis]).
Au cours d’un entretien sur le Web, le réalisateur R-J Bouyer déclarait : ‘’On filme plus volontiers sa victoire que sa défaite. C’est une constatation qui se vérifie chez les Allemands, qui ont tourné beaucoup d’images de l’invasion et de l’occupation de la France mais très peu de leur propre déroute’’.
On appréciera au passage les efforts des chercheurs et leurs difficiles mais néanmoins indispensables travaux pour l’identification puis la conservation de ces petits bouts de films amateurs réalisés sans autre prétention que celle de témoigner.
Et David Dufresne de préciser : ‘’Aujourd’hui, ces images nous étonnent encore. Elles ébranlent nos certitudes et brouillent nos repères. Tirées de l’oubli, elles bouleversent tout, nos chronologies, nos chromos, nos idées toutes faites : hier la vie était en noir et blanc, celle d’aujourd’hui s’exhibe en couleur’’.
C’est donc un « livre d’images » vraies qu’il faut posséder et ranger à côté de ses vieux livres d’histoire poussiéreux. Quand le cinéma d’amateur obtient enfin sa reconnaissance « d’utilité publique »… ( Serge Moroy)
Il ne faut pas oublier de signaler que la plupart des films allemand ont été tournés par l'entreprise de propagande nazie "Signal", qui réservait la pellicule couleur à la propagande.
Paris apparaît ainsi comme une ville estivale où chacun vaque au gré de ses occupations (ah! le charme des rues piétonnières!), les films sont "judenreim" (tout juste si, par inadvertance, on voit un square pour petits enfants porter la fameuse pancarte "interdit aux Juifs"
Paradoxalement, les films américains sont "contreproductifs". Parce qu'ils exaltent pour beaucoup la puissance militaire, et que les vues de Saint-Lô, par exemple, totalement ravagée par des bombardements successifs et des tirs d'artillerie inouïs qui ont massacré des milliers de civils effraient, lorsqu'il s'agit d'un pays "libéré". Les collabos ne s'y sont d'ailleurs pas trompés, avec leurs affiches: "voilà comment ils libèrent la France"... étrangement amnésiques, d'ailleurs, sur les bombardements faits par les envahisseurs nazis, tout comme d'ailleurs sur ceux qui frappaient l'Allemagne. Il ne fallait pas reconnaître que le Reich était ravagé - d'une part pour des raisons de propagande, d'autre part pour ne pas diminuer un enthousiasme déjà bien tiède vis à vis du STO et du Travail volontaire (la "relève")
Rédigé par : Benjamin | 17 mai 2009 à 09:20
MISE AU POINT SUR LES FILMS AMATEURS EN COULEURS
Novembre 1935, les chimistes allemands de chez Agfa ont une longueur d’avance en sortant la pellicule Agfacolor (l’Agfacolor est un film inversible dont les couleurs sont incluses dans la pellicule, à l’inverse du Kodachrome qui les récupère dans le bain de développement. L’Agfacolor sera commercialisé jusqu’en 1968). Mais la stabilité des couleurs est précaire dans le temps. Parallèlement, la firme américaine Kodak sort le Kodachrome, un procédé trichromique bien meilleur que l’Agfacolor, puis en 1942 le Kodacolor qui permettra de tirer des copies de films.
Avec l’avènement de la couleur, les cinéastes amateurs possèdent donc dès 1936 – et pour une fois – d’un avantage considérable sur les professionnels. Des professionnels qui persistent à tourner en noir et blanc pour alimenter les actualités et les films de propagande (les professionnels comprendront cependant vite l’impact de la couleur sur les spectateurs pour la pédagogie et la propagande militaires, notamment Joseph Goebbels qui en fera grand usage en 16 mm). Redécouverts au début des années 90, ces petits films revêtent aujourd’hui un intérêt extraordinaire en révélant une guerre que nos manuels d’histoire persistaient à nous décrire en noir et blanc dont, notamment :
la débâcle française avec ces civils jetés sur les routes et croisant ces cohortes interminables de prisonniers encadrés par les soldats allemands (1), Hitler filmé en 1939 par sa maîtresse Eva Braun, dans l’intimité de son repaire de Berchtesgaden (Hitler vient de lui offrir la première caméra amateur 16 mm de marque Movex), les bombardements de Londres et ceux, plus tard, de Hambourg et de Berlin, la vie du ghetto de Varsovie où survivent, entassés, 500 000 juifs (2), le port de Dunkerque avec son imposant ossuaire d’acier, l’invasion de la Russie par la Wehrmacht, les pelotons d’exécution en Serbie, les pendaisons de civils en représailles d’un attentat contre des SS, les batailles du Pacifique avec le sacrifice des aviateurs kamikazes et de ces civils japonais, fanatisés, qui préfèrent, c’est incroyable, se suicider plutôt que de se livrer aux américains. Les images de la paix, enfin : la libération, de Gaulle acclamé à Paris et la liesse populaire dont les GI’s sont les héros incontestables. La Fox avait dépêché un cinéaste, Jack Leib, pour filmer en couleurs l’épopée du débarquement. Depuis cette date, la petite caméra amateur 16 mm Bell & Howell, munie de sa pellicule couleur Kodak, accompagnera systématiquement quelques soldats américains, jusque sur les plages de l’océan pacifique : les îles Marianne, Saïpan, Okinawa.
A l’opposé, loin du « pris sur le vif », il y aussi les films de propagande, commandités pour les besoins de « la cause » : Goebbels fera refilmer en couleurs l’attaque de la France par la Wehrmacht, le gouvernement américain encouragera les femmes à prendre la place des hommes dans les usines, le défilé nazi près de Hanovre et celui, tout aussi ostentatoire, de l’armée soviétique à Moscou. Comment ne pas s’émouvoir devant ces images d’écoliers tziganes filmés par deux « chercheurs » de « l’institut d’hygiène raciale de Berlin », juste avant de les envoyer à leur insu à Auschwitz ? Sans oublier ces documents sur les effroyables effets des bombes nucléaires d’Hiroshima et de Nagasaki.
Qui savait que les battle-dress des GI’s américains étaient bleus ? Car, à force de parler d’uniformes bruns et vert-de-gris, on avait fini par penser que la guerre était un univers… sans couleur. Or, « même les uniformes n’ont rien d’uniforme » : la sinistre croix gammée flottant sur les oriflammes rouge-sang, les visages bleuis des cadavres de Buchenwald interrogeant les libérateurs tardifs, les robes printanières des femmes virevoltant dans les rues d’un Paris primesautier sur l’air de « Ah ! Que la France est belle et comme on est heureux d’être un de ses enfants », nous rappellent que la réalité est faite exclusivement de couleurs.
Ainsi fut la guerre filmée par des cinéastes amateurs de tous les camps. Incontestablement, un autre regard que celui de l’information officielle délivrée, elle, principalement en noir et blanc. Avec ces films, jamais l’horreur de la seconde guerre ne nous avait paru si réelle et… si proche à la fois ! D’où le troublant et poignant sentiment de malaise qui nous étreint à leur vision.
Serge
(1)- On apprend qu’après le 10 juin 1940, il n’y avait plus de pellicule disponible en France. Ainsi, les rares images noir et blanc dont les actualités disposent sont, en fait, celles de réfugiés belges ! Les soldats allemands, cinéastes-amateurs, ont donc tourné clandestinement ces scènes de l’exode, au mépris des ordres de Goebbels qui interdisait de filmer la guerre sans autorisation officielle.
(2)- Un film couleur, de marque Agfa, déposé récemment et anonymement aux archives de Berlin (probablement d’un opérateur allemand « accrédité »).
Rédigé par : Serge | 17 mai 2009 à 11:21
Merci pour ces informations.
A noter que la quasi totalité des films en couleur qui ont fixé le défilé de la Libération de paris, en 1944... est floue.
Existe-t-il à votre connaissance des films ou des photos en couleur du débarquement de Normandie? je ne me souviens pas en avoir vu
Rédigé par : Benjamin | 18 mai 2009 à 14:07
France 2 avait diffusé mardi 7 mai 2002 le deuxième volet de la série « Ils ont filmé la guerre en couleurs ». Ce deuxième volet était consacré à la guerre vécue outre-Manche. Outre les bombardements allemands sur Londres et le sud de l’Angleterre, il y avait bien sûr des images sur les préparatifs du débarquement (opération Overlord). Puis vient l’aube du 6 juin avec ses couleurs qui enflamment le ciel et les visages des soldats anglais se profilant sur un soleil rouge-sang flatté par la pellicule Kodachrome, symbole augural de ce qui sera bientôt l’atroce réalité. Au lever du jour, sur une mer démontée et après les pilonnages intensifs de l’aviation alliée et ceux de l’artillerie maritime, les péniches de débarquement accostent péniblement sur les plages de Normandie où 75 000 Allemands, terrés, les attendent. Pierre-Charles Boccardo a raconté : « J’ai sauté dans l’eau, j’ai couru très vite pour sortir de ce pétrin parce que nous étions dans un pétrin épouvantable. Nous étions du gibier et les Allemands nous tiraient comme des lapins ». On pense tout de suite au film magistral de Steven Spielberg « Il faut sauver le soldat Ryan ». Même ambiance apocalyptique et couleurs d’une effroyable beauté. Bilan : 2500 soldats sont tués tandis que 7500 blessés repartent vers l’Angleterre. 160 000 hommes ont débarqués et se maintiennent sur 5 plages, entre l’Orne et le Cotentin, soit une seule tête de pont longue de 19 km. Grâce à elle, et en 3 mois, deux millions d’hommes et 400 000 véhicules seront acheminés sur le continent.
France 2 avait diffusé dimanche 15 juin 2003 le troisième et dernier volet consacré à la guerre filmée en couleurs. Ce troisième volet était intitulé « la Libération ».
Le 14 juin 1940, la Wehrmacht entre dans un Paris hébété. Si la France vit alors des heures sombres, les Allemands, eux, voient la vie en couleurs. Telle cette visite du Führer à Paris le 23 juin 1940 en compagnie de Albert Speer. Une visite éclair de trois heures enregistrée en Agfacolor 8 mm par le pilote personnel de Hitler, Hans Bauer.
L’attaque de Pearl-Harbor par les japonais le 7 décembre 1941 va déclencher l’entrée en guerre des Etats-Unis jusqu’alors hésitants. Le 8 novembre 1942, 100 000 soldats des forces alliées débarquent à Alger sous le commandement du général Eisenhower. L’armée américaine a mandaté le producteur Darryl Zanuck pour filmer l’événement afin d’en tirer des leçons pour de futures interventions. Et, dans ce 3ème volet, on s’aperçoit très vite que les liens de Hollywood et de l’armée américaine étaient très étroits. George Stevens (« Géant ») est mobilisé pour former par le film les nouvelles recrues (on estime en effet qu’un bon film de formation réduit de 30 % la durée de l’instruction). Stevens détient le contrôle sur tous les films produits en Europe par les armées alliées. Ses films personnels en kodachrome, retrouvés en 1975 dans un hangar militaire, sont impressionnants. Ils couvrent les préparatifs du débarquement du 6 juin 1944 jusqu’à la prise du nid d’aigle de Hitler à Berchtesgaden, en passant par la libération du camp de Dachau. Jack Leib, correspondant de guerre américain, tourne en 35 mm noir et blanc pour les actualités Fox Movietone et en Kodachrome 16 mm pour… lui-même. Le 24 août 1944, George Stevens embarque avec sa caméra dans l’unité de la 2ème DB du général Leclerc qui a été autorisée par Eisenhower à libérer Paris. William Wyler (« Ben Hur ») filme les troupes coloniales commandées par de Lattre de Tassigny qui débarquent le 14 août 19444 à Saint-Raphaël. Marseille sera libérée le 28 août, après de rudes combats filmés par John Sturges (« Les sept mercenaires »). Steven Spielberg apprend l’existence des films personnels de G. Stevens, se les fait projeter et, admiratif devant les couleurs du Kodachrome « qui vibrent encore », décide de s’en inspirer pour restituer l’ambiance colorimétrique de cette épopée sanglante dans son film « Il faut sauver le soldat Ryan » (1998).
Je rappelle que la plupart de ces films inédits, réalisés dans les formats 8 et 16 mm, furent tournés par les principaux protagonistes : Allemands, Français, Anglais et Américains, qu’ils soient soldats ou simplement civils. Nous avons vu bon nombre de ces images sur nos téléviseurs et elles n’étaient pas floues. Elles étaient pratiquement toutes en Kodachrome et quelques unes en Agfacolor (conservation plus délicate). Elles n’ont pas été « recolorisées » comme c’est la grande mode maintenant pour remettre au (mauvais) goût du jour des films anciens, mais leurs couleurs ont tout juste été réhabilitées grâce à l’outil numérique pour restituer les nuances chromatiques d’origine. La fabrication du Kodachrome a été arrêtée par Kodak en septembre 2005, soit après 68 années de bons et loyaux services et au grand dam des cinéastes amateurs qui obtenaient avec cette pellicule argentique une qualité d’image jusqu’alors inégalée. Mais ceci est une autre histoire…
Serge
Rédigé par : serge | 18 mai 2009 à 22:18