JEAN LOUIS FOURNIER
STOCK
COLLECTION BLEUE
"Cher Mathieu, cher Thomas,
Quand
vous étiez petits, j' ai eu quelquefois la tentation, à Noël, de vous
offrir un livre, un Tintin par exemple. On aurait pu en parler ensemble
après. Je connais bien Tintin, je les ai lus tous plusieurs fois.
Je
ne l'ai jamais fait. Ce n'était pas la peine, vous ne saviez pas lire.
Vous ne saurez jamais lire. Jusqu'à la fin, vos cadeaux de Noël seront
des cubes ou des petites voitures... "
Jusqu'à ce jour, je n ai jamais parlé de mes deux garçons. Pourquoi ? J'avais honte ? Peur qu'on me plaigne ?
Tout cela un peu mélangé. Je crois, surtout, que c'était pour échapper à la question terrible : « Qu' est-ce qu'ils font ? »
Aujourd'hui que le temps presse, que la fin du monde est proche et que je suis
de plus en plus biodégradable, j'ai décidé de leur écrire un livre.
Pour
qu'on ne les oublie pas, qu'il ne reste pas d'eux seulement une photo
sur une carte d'invalidité. Peut-être pour dire mes remords. Je n ai
pas été un très bon père. Souvent, je ne les supportais pas. Avec eux,
il fallait une patience d'ange, et je ne suis pas un ange.
Quand on
parle des enfants handicapés, on prend un air de circonstance, comme
quand on parle d' une catastrophe. Pour une fois, je voudrais essayer de
parler d'eux avec le sourire. Ils m'ont fait rire avec leurs bêtises,
et pas toujours involontairement.
Grâce à eux, j'ai eu des avantages
sur les parents d'enfants normaux. Je n'ai pas eu de soucis avec leurs
études ni leur orientation professionnelle. Nous n'avons pas eu à
hésiter entre filière scientifique et filière littéraire. Pas eu à nous
inquiéter de savoir ce qu'ils feraient plus tard, on a su rapidement ce
que ce serait : rien.
Et surtout, pendant de nombreuses années, j'ai
bénéficié d une vignette automobile gratuite. Grâce à eux, j'ai pu
rouler dans des grosses voitures américaines. ( L'éditeur)
Pour
la première fois dans son oeuvre, Jean-Louis Fournier parle de ses
garçons, pour ses garçons. Parce que le temps presse et qu'il faut dire
autrement. Dire autrement la question du handicap, sans l'air contrit
ou la condescendance.
Comme il l'a fait en 1999 en évoquant son
père, Jean-Louis Fournier conserve, pour ce nouveau roman, l'équilibre
maîtrisé entre le drôle et la désespérance.
Jean-Louis Fournier
est l'auteur de nombreux succès depuis 1992 (Grammaire française et
impertinente), Il a jamais tué personne mon papa (1999), Les mots des
riches, les mots des pauvres (2004), Mon dernier cheveu noir (2006).
Autant de livres où il a pu s'entraîner à exercer son humour noir et
tendre.
Où on va, papa est peut-être son livre le plus désespérément drôle.
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