Sur le pied de guerre
90e anniversaire de l’armistice du 11
novembre oblige, des documentaires sur la Grande Guerre furent diffusés sur le
petit écran. J’en ai retenu trois : ‘’14-18, le bruit et la fureur’’ -
‘’L’héroïque cinématographe’’ et ‘’Le siècle de Verdun’’, trois documentaires
différents mais finalement complémentaires malgré le fait qu’ils utilisent
souvent des images similaires en provenance du même fonds d’archives (ECPA-D).
Un rendez-vous poignant avec l’Histoire pour tenter de comprendre l’incompréhensible.
14-18, le bruit et la
fureur
Sur France 2 – Mardi 11 novembre à
20h50 – Durée 108 minutes – Images colorisées - Réalisateur :
Jean-François Delassus –
Commentaire : Alexandre Astier – Doc. interdit aux – 12 ans.
Documentaire entièrement conçu à
partir d'images d'archives sur les batailles qui se sont déroulées en France et
en Belgique. Ces images proviennent des archives de la SCA (Service
Cinématographie des Armées), elles sont colorisées et sonorisées pour mieux
ressusciter l’ambiance de ces quatre années de guerre et accompagnées du
commentaire d'un soldat français imaginaire. Elles montrent comment les Poilus
acceptèrent la perspective d'une mort, ou au mieux d'une blessure quasi
certaine, sans broncher et surtout sans rien connaître des objectifs
stratégiques de leur état-major. La haine du prussien érigée au rang de vertu
cardinale incitait alors les soldats à se battre. La montée des Anglais au
front, le 1er juillet 1916, dans la sanglante bataille de la Somme
(10 000 Anglais tombent la première heure, 20 000 sont tués le premier
jour), le travail des femmes dans les usines d’armement (200 000 obus
produits par jour en 1916), la réquisition des travailleurs dans les zones
occupées par les Allemands, la libération de l’Alsace, etc. révèlent des images
saisissantes, mêlées à quelques extraits de grands films pour les batailles
reconstituées (dont notamment ceux de Griffith et Milestone). Ce conflit
extrêmement meurtrier parce que moderne (20 millions d’obus furent lancés dans
la bataille de la Somme qui dura 4 mois et demi !) a plongé des armées
entières dans un paroxysme de souffrances inouïes, en même temps qu’il
changeait totalement l’idée que l’on se faisait de la guerre (jusqu’alors de
type ‘‘napoléonienne ’‘). Cette vision du quotidien où règnent la peur, le
froid, la maladie, les rats, l’humidité et la mort, conforte le spectateur que
s’est tournée dans ces tranchées une page épouvantable de notre histoire qui
dépasse tout entendement humain. La couleur, même blafarde et maladroite par instants,
apporte cette touche de véracité contemporaine à des images d’un autre âge qui
auraient pu s’en dispenser. Mais n’est-ce pas devenu courant maintenant de
diffuser ce genre de documents en les colorisant pour mieux sensibiliser le
téléspectateur ?
L'héroïque cinématographe
Sur Arte – Mercredi 12 novembre à 21h – Durée 48
minutes – Images noir et blanc - Réalisateurs : Agnès de Sacy et Laurent
Veray.
Peu après le début
du conflit, des cameramen sont enrôlés dans les deux camps car l’on a vite compris
que le cinéma pouvait être aussi une ‘‘arme
redoutable ’‘… dixit le Maréchal Ludendorff. Désormais, témoin
implacable, l’opérateur de prise de vues partage le quotidien des soldats sur
le front. Le reportage cinématographique en est alors à ses balbutiements
(création en février 1915 de la SCA côté français et de la BUFA côté allemand),
mais malgré tout donne l’impression que l’image filmée est bien celle de la
réalité. Pour autant est-ce bien l’exacte vérité dès lors que l’on sait que la
violence des combats était telle qu’il était impossible de filmer ? Filmer
l’ennemi c’est donc surtout filmer des morts ou des prisonniers car le combat…
c’est justement ce que l’on n’a pas pu filmer. Les scènes de bataille sont donc
toutes reconstituées. De ce point de vue, ce n’est plus du cinéma-vérité, mais
plutôt du cinéma de propagande : il convient de rassurer l’arrière et
maintenir l’ardeur à combattre l’ennemi de la patrie. ‘’La vérité, c’est une agonie qui n’en finit pas. La vérité de ce monde,
c’est la mort. Il faut choisir, mourir ou mentir’’ affirme L-F Céline dans
son roman Voyage au bout de la nuit. Pour
faciliter la narration de ce documentaire, on a imaginé un opérateur français
et un opérateur allemand contant leurs souvenirs. Leurs témoignages s'inspirent
de faits authentiques consignés dans des carnets de tournage. Des scènes tragiques
furent enregistrées dans la Somme à l’issue des combats. Cette réalité crue et sans
fard s’accommodait mal avec ce que voulait l’on faire croire à l’arrière. Ces images,
qui n’exaltent pas l’élan patriotique pas plus qu’elles ne glorifient l’acte de
bravoure, sont donc censurées. Pourtant, des séquences enregistrées à l’arrière
n’en sont pas moins tragiques, telles celles tournées dans un hôpital lyonnais
spécialisé dans la reconstruction maxillo-faciale où des ‘‘gueules
cassées ’‘ s’exhibent devant la caméra. Laurent Veray, est maître de conférences
à Paris X où il enseigne l’histoire du cinéma. Il préside aussi l’AFRHC
(Association Française de Recherche sur l’Histoire du Cinéma) qui publie la
revue 1895. Ce film est plus qu’un simple documentaire. C’est un précieux outil
pour analyser les mécanismes d’un cinéma oscillant entre fiction, reportage et
propagande avec, à la clef, une certitude : celle qu’il est difficile de
filmer la guerre.
Le siècle de Verdun
Sur France 5
– Lundi 17 novembre à 21h30 – Durée 55 minutes – Noir et blanc et couleurs –
Réalisateurs : Patrick Barbéris et Alain Prost.
Voici l'une des batailles les plus
terribles du 20e siècle livrée du 21 février à décembre 1916. L’affrontement
a marqué un tournant décisif de la guerre sur le front français et constitue
aujourd’hui l’un de ses principaux symboles (‘’qui a fait Verdun a fait la guerre’’). Mais Verdun c’est aussi un lourd
sacrifice inutile. Une boucherie qui fit tout de même 500 000 victimes
(250 000 dans chaque camp). Pétain, chef de la bataille (avant d’être
remplacé par Nivelle) déclare : ‘’Ils
ne passeront pas !’’. Les soldats rétorquent : Si les généraux des deux pays passaient une
nuit sur champ de bataille, le lendemain la paix serait signée ! ’‘.
Avant même la fin de la guerre, Verdun devient un lieu de recueillement et de
mémoire nationale (“On a pu dire que le principal vainqueur de
Verdun c’était la mort, mais c’était peut-être le souvenir”) et en 1920 on érige son mémorial et son ossuaire (inaugurés en 1932). Son nom
sera maintes fois cité à des fins pacifistes, avant d'être récupéré par les
Nazis qui ont compris la nécessité de rallier à leur cause les anciens
combattants allemands, tandis que Pétain, âgé de 84 ans en 1940, s’appuie sur
les anciens combattants français pour sa ‘‘France nouvelle ’‘. S’appuyant sur des archives filmées et les
interventions d’historiens français (Antoine Prost, Pierre Laborie) et d’un
professeur d’université allemand à Düsseldorf (Gert Krumeich), cet excellent
documentaire analyse très bien l’impact mémoriel de Verdun dans la conscience
collective au fil du temps et donne un éclairage intéressant sur son rôle dans
les prémices du deuxième conflit (‘’pour
les Allemands la deuxième guerre mondiale n’est que la suite de la première’’)
jusqu’à la réconciliation
franco-allemande du 22 septembre 1984 avec cette
image inoubliable de François Mitterrand et d’Helmut Kohl main dans la main
devant le mémorial de Verdun.
Serge MOROY
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