Au pays des mages noirs, le film de Jean Rouch
Vu récemment le premier court métrage de Jean Rouch, souvent cité comme référence du film documentaire ethnographique : « Au pays des mages noirs » (1947).
Pour sa réalisation, ce film avait reçu le soutien du Ministère de la culture et du Centre national de la cinématographie (C.N.C.).
D’emblée, un préambule avertit le spectateur : « Le chasseur d’images qui, au centre de l’Afrique noire, a réussi à filmer la vie publique et secrète d’un village du Niger, a dû, en raison de leur caractère sacré, prendre les plus extrêmes précautions pour enregistrer les scènes saisissantes de la danse de la possession.
Le public excusera donc les imperfections qui peuvent entacher certaines images que nous n’avons cependant pas cru devoir retirer en raison de l’intérêt qui s’attache à cet extraordinaire document. »
Nous sommes dans cette partie de l’Afrique noire qui longe le Niger, entre Gao et Niamey. Les Songhai vivent sur les bords du fleuve Niger, à la lisière de la forêt. C'est un peuple vivant de la culture, de la chasse et de la pêche. Tandis que les enfants pilent le mil, les hommes fabriquent les harpons en vue de la grande chasse à l'hippopotame car la recherche de viande est l'objectif de la saison sèche.
Tous les harpons sont ensuite réunis sur la place du village pour leur consécration au génie du fleuve, via un sacrifice de mouton. Cette cérémonie est le prélude rituel à la chasse.
Le jour fixé par les Augures, les pirogues partent à la recherche de l'animal. Vu par un guetteur, l'assaut sur ce dernier est donné. Toutes les pirogues s'élancent pour placer les harponneurs à bonne portée. A plusieurs reprises, les chasseurs lancent leurs harpons.
Une fois la bête abattue, les pirogues s'approchent du cadavre pour le remorquer. Arrivés sur la berge, en présence de tout le village, le dépeçage de l'animal et le fumage de la viande peuvent commencer, rythmés par les chants de la population.
Sur la place du village, c'est maintenant l'heure des danses sacrées. La danse des génies (ou danse de la possession) réunit les femmes et les hommes au son des calebasses.
Le rythme s'accélère, l'emprise des génies est progressive, jusqu'à l'extase. Une femme entre en transe, possédée par Zicco, le génie du fleuve. L'hystérie devient collective et se traduit par des convulsions, l'émission de bave et des sauts désordonnés dans tous les sens.
Le lendemain, le village a retrouvé son calme et la vie quotidienne a repris. L'Afrique ajoute une année à ses millénaires. Rien n'a changé. L'Afrique éternelle ou plutôt l'Afrique sans âge.
Commentaire
Jean Rouch (1917-2004) a été formé par le cinéaste Jacques Becker (Goupi Mains Rouges, Casque d’or, Ali Baba et les 40 voleurs, Touchez pas au grisbi…) à la technique cinématographique alors qu’il effectuait un voyage au Sahara.
Au sujet de ce premier court-métrage, il déclarera : « Je n’avais aucune notion des raccords. Je tournais par morceaux, ce qui m’intéressait, sans souci du montage à venir ». Les scènes de transes sont assez saisissantes, telles celles de l'homme qui se brûle le torse avec une torche, l'homme ne cessant de faire des sauts en arrière ou encore celui qui bave abondamment.
Un documentaire dur mais fascinant qui fait encore aujourd’hui référence dans le genre, même si le commentaire adopte un ton délibérément colonialiste car récupéré par les Actualités françaises d’après-guerre.
Le film est visible sur YouTube :
https://www.youtube.com/watch?v=C1WeSAeuNhM
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