« Charlot émigrant » était l’un des films préférés de Charlie Chaplin. Le film raconte l’arrivée de Charlot à New York, à bord d’un paquebot bondé d’émigrés. Une chronique sociale, un mélodrame, mais aussi une comédie burlesque qui marquera le cinéma américain du XXe siècle : la longue traversée de l’Atlantique, l’espoir devant la statue de la Liberté, les fonctionnaires autorisant ou non les étrangers à fouler la terre promise…
Sorti le 17 juin 1917, « Charlot émigrant » a contribué plus que tout autre film à construire le mythe de Charlot, l’anti-héros au grand cœur. Pour le tourner, les méthodes de travail de Charlie Chaplin vont devenir beaucoup plus exigeantes que par le passé.
Le film commence sur un bateau d’émigrants en route vers l’Amérique. Charlot, passager, coule une idylle avec Edna (Edna Purviance, l'actrice fétiche de Chaplin). Emu par sa pauvreté et sa beauté, notre héros lui glisse en cachette une partie de l’argent qu’il vient alors de gagner au jeu.
Premières désillusions
Le bateau arrive à New York. Au loin, se profile la statue de la Liberté, symbole de la terre promise et de prospérité pour ces émigrants venus de si loin. Déjà, tous se pressent avec joie sur le pont quand leur enthousiasme se trouve aussitôt refroidi par les fonctionnaires zélés du service de l’immigration, qui vont les parquer comme du bétail.
Une fois débarqué, Charlot retrouve par hasard Edna dans un café. Il a trouvé une pièce dans la rue et l’invite. Mais la pièce tombe de sa poche trouée et notre héros va du coup avoir maille à partir avec le serveur du café, un colosse totalement dépourvu d’humanité.
La perfection sinon rien
« Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage » disait Boileau. L’exigence de Chaplin à l’époque était telle qu’il tourna 25 000 mètres de pellicule et passa quatre jours et quatre nuits sans repos pour monter le film dans sa forme définitive. D’une durée de près de 25 minutes, sa réalisation nécessita pas moins de deux mois de tournage. Ainsi, la scène de l’addition opposant Charlot au serveur patibulaire, fut filmée plusieurs fois durant une semaine entière ! Chaplin s’aperçut en effet qu’il faisait fausse route: Henry Bergman n’était pas assez effrayant pour rendre la peur de Charlot crédible. Il annula une pleine semaine de tournage consacrée à cette scène (ce qui était révolutionnaire pour l’époque) pour donner finalement le rôle à Eric Campbell, beaucoup plus inquiétant à l’écran.
Victime du maccarthysme
« Depuis 1840, l’Amérique symbolise l’ascension sociale où nos pionniers espèrent reconstruire leur vie sur un nouveau modèle » ai-je lu dans un magazine. Mais, l’Amérique a-t-elle vraiment été un Eldorado pour Chaplin ? Malgré son immense succès, il est permis d’en douter. Alors qu’il entreprend en 1952 un voyage avec sa famille à Londres, sa ville natale, son visa de retour est supprimé. On lui reproche ses sympathies communistes et il devient Persona non grata aux États-Unis. Frappé par tant d’ingratitude, il s’établira alors en Suisse pour y vivre les 25 dernières années de sa vie avec sa famille.
En septembre 1957, soit 40 ans plus tard, Chaplin réglera ses comptes dans « Un roi à New York », réalisé en Angleterre. Il s’agit d’une satire au vitriol du mode de vie américain, ainsi qu’une dénonciation féroce du maccarthysme et de la chasse aux sorcières dont il a lui-même été victime. Le film sera d’ailleurs interdit aux Etats-Unis jusqu’en… 1976.
Mais en avril 1972, Hollywood l’invite. Chaplin oublie alors sa rancœur et traverse l’Atlantique pour fouler à nouveau le sol du pays qui l’a tant fasciné, rendu célèbre, enrichi puis chassé.
Devant 2700 personnes, qui l’acclament debout en fredonnant la mélodie des « Temps modernes », il reçoit un Oscar spécial pour l’ensemble de son œuvre. Charlot tenait enfin sa revanche.
Serge MOROY
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