Le coup de foudre pour Joséphine
Si plus de 200 films relatent l’épopée napoléonienne, celui d’Abel Gance, sorti en avril 1927, émerge nettement du lot. Ce film est actuellement en cours de restauration à la Cinémathèque française, reconstitué dans son intégralité grâce à des séquences retrouvées. Les restaurateurs ont respecté les intertitres d’origine (que j’ai indiqués), mais se sont basés également sur les notes, très explicatives, d’Abel Gance.
Voici donc celles concernant la première rencontre de Napoléon avec Joséphine de Beauharnais. Coup de foudre immédiat pour l’empereur. La scène se passe au bal du 6 octobre 1795, après que le jeune général ait maté l’insurrection des royalistes à Paris.
Violine, la jeune cantinière amoureuse de Napoléon, cf. # Napoléon et les femmes (4), sourit en rangeant des vêtements. Tout à coup, elle pâlit et est obligé de s’asseoir. Heureusement que sa compagne ne s’émeut pas de regarder un brillant général, car c’est Bonaparte, éblouissant, qui tend son manteau.
Bonaparte est méconnaissable et séduisant comme personne n’eût pu le penser. Habillé de neuf, chapeauté d’or, cravaté d’or, ceinturé d’or, avec des éperons qui brillent comme deux étoiles… il passe.
Violine le suit des yeux, bouleversée. Quand il est passé, elle arrache, de l’énorme plumet du chapeau qu’il a déposé, une plume qu’elle glisse dans son sein.
Bonaparte entre dans le bal où il fait sensation. La salle, immobile, silencieuse et curieuse, détaille ce jeune et fringant général de la République.
La brusque notoriété de Bonaparte au lendemain de Vendémiaire s’éclipsait cependant devant la grâce de trois femmes célèbres du moment…
L’huissier annonce son entrée dans le bal. 25 ans. Très belle, très dévêtue, presque licencieuse, ses cheveux d’un noir de velours sont courts et frisés tout autour de la tête ; cela s’appelle coiffure à la Titus. Elle est radieuse, exubérante de santé et de bonheur et reine de la vie facile. Vénus du Capitole, harmonie parfaite.
Mouvement d’admiration dans la salle. Une cour se forme. L’ancien régime est toujours là dès qu’il s’agit du charme féminin. Bonaparte la regarde, impassible.
Madame Récamier
L’huissier annonce son entrée. 17 ans. Beauté, grâce et simplicité d’une Vierge de Raphaël. Aucun bijou. Plus on la regarde, plus on la trouve belle.
Nouvelle houle d’admiration.
Une autre cour se forme, peut-être plus grande encore que celle qui, comme un essaim, bourdonne autour de Madame Tallien. Tous les vieux messieurs en sont.
Bonaparte la regarde, impassible.
L’huissier annonce son entrée. 30 ans. Cette femme met à vivre une grâce qui n’a qu’elle. Au corps, nulle entrave, nul corset, pas même une brassière. Ses mouvements ont une souplesse nonchalante, s’accentuant avec naturel en des poses négligées, qui donnent à sa personne une exotique langueur. Son teint mat, où transparaît l’éclat de l’ivoire, prend une douce animation sous les reflets veloutés de grands yeux bleu foncé, aux longs cils légèrement relevés. Les cheveux, d’une sorte de nuance fulgurante, s’échappent en spirales d’un réseau d’or, et leurs boucles folles viennent encore ajouter un charme indéfinissable à une physionomie dont la mobilité est excessive mais toujours attrayante.
Sa toilette complète l’aspect vaporeux de toute sa personne ; sa robe est de mousseline de l’Inde, et son ampleur exagérée trace autour de son corps des sillons nuageux. Le corsage, drapé à gros plus sur la poitrine, est arrêté sur les épaules par deux têtes de lion émaillées de noir. Les manches courtes, froncées sur des bras nus fort beaux, ornés au poignet de deux petites agrafes d’or.
A elles trois, ces femmes ont affolé Paris et vu tomber des personnages les plus illustres à leurs pieds, ces beaux pieds qu’elles portaient nus et seulement chaussés de cothurnes avec des émeraudes aux doigts.
Troisième vague d’admiration pour Joséphine.
Cette fois, Bonaparte tressaille.
Groupe Joséphine. Compliments, admiration d’adorateurs nombreux. Barras, dissimulant mal sa liaison avec Joséphine, est un des plus ardents. Bonaparte se mêle au groupe. Il est près d’elle, fasciné.
Joséphine s’arrête de rire pour regarder Bonaparte, prisonnier dans le groupe. Cela le gêne. Il rompt la chaîne de fleurs, avance brusquement ; aux cris des admirateurs de Joséphine, il se retourne, les toise, et quitte soudain le groupe. Offusquée Joséphine ne sait que faire, mais elle se décide à rire.
Joséphine rejoint Madame Tallien et Madame Récamier.
Elles suivent, très intéressées, Bonaparte, qui ne les voit pas et qui, entouré, encensé, ne sait comment s’évader des compliments.
Joséphine dit, rêveuse et adorable : « Il est vraiment charmant ce petit Buonaparte ».
Mesdames Tallien et Récamier se font un signe et s’éloignent…
Rapide, Joséphine se place sur son chemin, sans en avoir l’air. Bonaparte arrive, la voit, montre son empressement. Elle le regarde curieusement. Il lève les yeux sur elle. Silence doré.
Bonaparte plonge ses yeux dans ceux de Joséphine. Cela la trouble. Elle se protège derrière son éventail et déclare : « C’est ici, Monsieur Buonaparte, qu’on m’a appelée pour l’échafaud ! ».
Abel Gance, Napoléon épopée cinématographique (Jacques Bertoin, 1991)
Abel Gance (Roger Icart, 1983).
Abel Gance et Napoléon, Cinématographe, revue n° 83 (nov. 1982)
15 décembre 1809 Divorce de Napoléon et Joséphine
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