CECILE DESPRAIRIES
ARMAND COLIN
Ces 100 mesures toujours en vigueur
Un héritage qui court toujours
Cécile Desprairies est historienne et essayiste, spécialisée notamment dans la période de la France occupée (22 juin 1940 - 25 août 1944).
Son dernier ouvrage « L’Héritage de Vichy » préfacé par Emmanuel Le Roy Ladurie (lui-même historien au Collège de France) liste pas moins de 100 mesures – y compris sociales – promulguées sous le règne du Maréchal Pétain qui court du 10 juillet 1940 au 20 août 1944 pendant l’occupation allemande, et dont le siège sera à Vichy, c’est-à-dire en zone libre jusqu’en novembre 1942.
Ces mesures, aussi surprenant soit-il, sont toujours en vigueur de nos jours, sans que nos contemporains en aient forcément conscience. Par leur côté étonnamment moderne, novateur, pour ne pas dire visionnaire (osons l’audace), on pourrait même croire que certaines découlent des réformes consécutives à l’avènement du Front populaire de 1936. Il n’en est rien.
Français, si vous saviez…
Parmi quelques unes de ces lois, disciplines et institutions qui nous régissent dans tous les domaines sans exception, la création de l’IDHEC (Institut des hautes études cinématographiques), des comités sociaux d’entreprise, de la police nationale, des régions et du préfet de Région, la fondation de l’hôpital public, des carnets de santé, de vaccination, du certificat prénuptial, du salaire minimum (ancêtre du SMIC), du périphérique, de l’ordre des architectes et de celui des experts-comptables, de la médecine d’inspection du travail, du délit de non-assistance à personne en danger, de la carte d’identité, de la licence IV pour l’alcool dans les cafés, de la fête du travail du 1er mai qui devient jour férié, la visite médicale obligatoire à l’école, l’extension des allocations familiales, la protection de l’enfance délinquante, la restauration collective et les tickets-repas, le rugby à XV (qui se substitue au rugby à XIII jugé trop anglais), la pratique du handball (sport allemand), le sport au bac, la retraite à 60 ans (appelée à l’époque « retraite des vieux »), la création de l’ESF (école du ski français)...
De même, la plupart d’entre nous ignorent qu’en septembre 1941 fut promulguée par Pétain la loi dite « accouchement sous X ». Cette appellation pour le moins énigmatique désigne une loi qui entendait sauver la vie de centaines de milliers d’enfants nés d’union franco-allemandes en préservant l’anonymat de celles qui leur donnaient la vie… tout en promouvant une politique nataliste chère au régime.
Vichy gérerait-il encore notre quotidien ?
Ainsi, alors que l’on a coutume de ne retenir de Vichy que la célébration de la fête des mères ou encore les chantiers de la jeunesse française (souvent appelés chantiers de jeunesse), ce livre dresse un inventaire édifiant de ces dispositions qui s’appliquent encore 70 ans plus tard, même si elles ont subi des aménagements ou modifications nécessaires, telle par exemple la suppression de l’éviction ethnique (antisémitisme) imposé par l’occupant nazi. « Si nous devions retenir un terme pour qualifier cette période, nous lui donnerions celui de complexité. Vichy a été un régime autoritaire et répressif mais au sein de son œuvre législative, nous devons lui reconnaître la part d’héritage qu’on lui doit. Certaines lois et pratiques traitées ici ont été constructives, même si pour beaucoup d’entre elles leur application a dû attendre la IVe République pour être efficace » reconnaît l’auteur dans son introduction.
La quasi-totalité des textes pris en matière d’assurances sociales seront purement et simplement validés à la Libération.
Vichy n’aurait donc été qu’une brève mais indélébile parenthèse au sein de notre histoire républicaine ? Et l’on n’aurait gardé de ce régime que ce qui concernait la gestion du quotidien ? Troublant.
Chacun se forgera sa propre opinion à la lecture de cet ouvrage passionnant, fruit d’un travail remarquablement audacieux ; et objectif puisqu’il va jusqu’à mesurer, pour chaque mesure abordée, ce qui fut et ce qui perdure encore aujourd'hui.
Serge Moroy
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