Tranche de vie ► Le boucher prend sa retraite
Après 51 d’activité, Jean-Paul Véron, 65 ans, a raccroché son tablier samedi 23 juillet. La nouvelle a secoué le village où le boucher était très apprécié.
1962-1963, classe de CM1 devant la mairie. Jean-Paul est au 2e rang, au centre, chemise à carreaux (il baisse les yeux).
Une aventure familiale
Boucher depuis l’âge de 14 ans, Jean-Paul repoussait chaque fois l’échéance. Mais cette fois, l’heure fatidique de la retraite a bel et bien sonné. Il avait repris en 1988 la boutique ouverte en 1947 par son père. En 1999, Philippe, son fils âgé de 18 ans, l’avait rejoint dans l’aventure familiale comme charcutier-traiteur. Une belle complémentarité s’était vite installée entre leurs métiers.
Le bon goût de la tradition
« Nous ne proposions que des pièces de choix labellisées : le boeuf d’Aubrac, l’agneau du Quercy, le porc fermier de Vichy, le veau du limousin élevé sous la mère. Il m’arrivait d’acheter des bêtes de concours à la chair généreuse, plus goûteuse et tendre » souligne Jean-Paul. Car dès qu’il le pouvait, il fréquentait les fêtes agricoles fleurant bon la France, ses coutumes et traditions. Notamment la transhumance, période estivale durant laquelle les bovins sont conduits sur les hauts plateaux de l’Aubrac pour y paître l'herbe grasse. Après avoir reçu leurs prix, ils étaient vendus aux enchères et le boucher en remportait quelques-unes. Il ramenait alors de belles bêtes qui faisaient le bonheur de ses clients pendant trois semaines.
Le vrai secret
« Je confectionnais chaque jour des charcuteries à partir de porc fermier. Nos clients raffolaient de notre boudin noir, primé au concours international de charcuterie 2003, de notre fromage de tête, de notre saucisse sèche... Le secret réside dans le choix de la viande, dans le savoir-faire traditionnel et, surtout, dans le fait que nous laissions le temps faire son œuvre, développant saveurs et arômes » explique Philippe. Dans l’arrière-boutique, les saucisses restent ainsi dans l’étuve durant une semaine, avant d’en passer deux autres dans le séchoir. Crudités et pâtisseries trônaient également dans la vitrine. « Tout était préparé avec des produits frais. Nous utilisions de vrais œufs et du beurre de Lésigny pour nos gâteaux » renchérit Philippe. L’art subtil et délicat d’un authentique savoir-faire se retrouvait au final dans l’assiette, pour le plus grand plaisir des clients.
« La plupart sont devenus des amis »
Même prévenus de son départ, ces derniers ont du mal à se résigner. Certains venaient de loin : Paris, Cergy-Pontoise, Maisons-Alfort, L’Isle-Adam Villeneuve-Saint-Georges, La Ferté-sous-Jouarre, Meaux…
Parmi les derniers clients, Caroline et Lucas, un jeune couple villevaudéen
« Je connais la boucherie Véron depuis tout petit. Cette semaine, on a un peu la larme à l’œil » avoue Lucas, 27 ans, un Villevaudéen. David, 36 ans, réside à Courtry. « Depuis quelques années, je viens ici une fois par semaine. On se console en pensant qu’on le reverra de temps en temps pour l’apéro ». Des clientes se penchent au-dessus du comptoir pour lui faire la bise et Jean-Paul a reçu plusieurs invitations, y compris au restaurant. Un voile traverse tout à coup ses yeux bleus. « Des liens se sont créés et la plupart de mes clients sont devenus des amis » sourit-il, surpris et ému par tous ces témoignages spontanés. « Je viens chez lui deux fois par semaine. J’apprécie la qualité de ses produits et sa découpe de la viande » confie Stéphanie, une Clayoise de 42 ans. Liliane et Jeannot, un couple de retraités villeparisiens, donnent leur avis. Net et sans appel. « De toute façon, si l’on voulait de la bonne viande, c’est ici qu’il fallait venir ! ». Herveline, cliente depuis 34 ans, reste songeuse. « Ça fait bizarre de savoir qu’il arrête. J’ai connu Philippe quand il faisait ses premiers pas dans la boutique ».
Un enfant du village
En 1960, Lucette de Grenier prend ses fonctions comme directrice de l’école des filles au Pin. Elle se rappelle sa première rencontre avec Jean-Paul. « Juliette, ma collègue, me dit : regardez donc ce beau garçon. Ne trouvez-vous pas qu’il a une tête de boucher ? Je suis sûre qu’il sera boucher comme son père ». Elle se souvient aussi d’un excellent élève en calcul mental, très sensible, qu’elle avait accompagné à Claye-Souilly pour son certificat d’études. « Dans la voiture, il était mort de frousse ». L’ancienne directrice, férue d’Histoire, ajoute que Jean-Paul est issu, de par sa mère, d’une très vieille famille du village, les Petitpas. « J’ai retrouvé un Petitpas en 1794. Il était vigneron ».
Plus qu’un métier, une passion
Jean-Paul prenait les commandes pour les buffets et banquets qu'il préparait avec son fils.
« La boucherie, c’est ma vie, ma passion, je n’ai connu que ça. Dès 12 ans, j’accompagnais mon père à l’abattoir » justifie Jean-Paul. Deux fois par semaine, il se levait à 2 h 30 du matin. Destination Rungis pour choisir les plus belles carcasses qu’il désossait ensuite soigneusement à la pointe du couteau.
Juin 2014, dégustation devant la boutique. Philippe Véron et Yves Taupin, venu en renfort de Meaux, s’activent derrière leurs pierrades.
En 2012 et 2014, il avait lancé des dégustations gratuites. « C’était un pari. Mes clients n’avaient de cesse de me demander de leur faire une dégustation de mes produits ». Devant la boutique, Philippe avait alors laissé libre cours à ses talents culinaires : filets de poulet marinés à la sauce tomate-basilic, filets de caille et de coquelet marinés, râbles de lapin à la provençale, saucisses au cantal, côtes de porc au miel et au citron... Des effluves alléchantes couraient le long de la rue de Chelles.
Passer à autre chose
Avec ses deux fils et deux petits-enfants, le nouveau retraité est bien entouré. « C’est une page qui se tourne. Ma mère et lui sont fatigués, ils doivent se reposer. On l’emmènera à la pêche, il promènera son chien, un husky de trois ans, qui l’adore. Et puis, il pourra toujours venir m’aider au restaurant si le cœur lui en dit » souffle Philippe, qui reprend en décembre un restaurant à Beauvoir-sur-Mer (Vendée), à 58 km de Nantes.
Damiao va succéder à Jean-Paul. Il est venu, samedi, lui rendre visite pour son dernier jour d’activité.
La boutique rue de Chelles rouvrira jeudi 25 août. Ce sera la boucherie de Damiao, du prénom de son repreneur, 49 ans, qui exerçait à Claye-Souilly et continuera dans la boucherie traditionnelle. Après des vacances bien méritées durant lesquelles il fêtera, le 5 août, ses 65 ans, Jean-Paul a promis de venir lui donner un coup de main. Sa façon à lui de ne pas rompre brutalement avec 50 ans de passion et de garder contact avec ses anciens clients. S.Moroy
On ne verra plus le logo de la boucherie Véron dans la rue de Chelles.
Une génisse remportée par Jean-Paul en mars 2014, à Laguiole (Aveyron).
Le boucher a conservé les plaques d’excellence des bêtes qu’il proposait à ses clients.
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