NOUS ETION FAITS POR ETRE HEUREUX
VERONIQUE OLMI
ALBIN MICHEL
« C'est étrange comme il suffit d'un rien pour qu'une vie se désaccorde,
que notre existence, tellement unique, si précieuse, perde son harmonie
et sa valeur. »
Quand Suzanne vient dans la maison de Serge à
Montmartre, il ne la remarque pas. Elle accorde le piano de son fils.
Elle est mariée, lui aussi, et à 60 ans il a ce dont rêvent les hommes :
un métier rentable, une jeune femme parfaite, deux beaux enfants.
Pourquoi soudain recherche-t-il Suzanne qui n est ni jeune, ni belle, et
apparemment ordinaire ? Pourquoi va-t-il lui confier un secret d'enfance dont il n'a jamais parlé et qui a changé le cours de sa vie ?
Pour
évoquer la passion naissante, les vérités enfouies et coupables, l' absence, le désir et les peurs, Véronique Olmi décline avec subtilité,
en musique douce, juste et fatale, ces moments clefs où les vies
basculent et cherchent désespérément la note juste.
Extrait: Il est là, en face de moi, place des Abbesses. Il ne me voit pas. Le col
de son manteau est relevé, il a mis ses gants de cuir brun, son écharpe
Hermès. Les lumières du manège lancent des éclairs crus et colorés sur
son visage, marquent ses cernes, et les rides à son front. Il lève
parfois la main pour répondre au «coucou» de Chloé, assise sur un cheval
de bois.
Il lui sourit, mais le manège a tourné, Chloé ne le voit
pas, et son sourire devient nu, presque misérable sous les lumières
flottantes.
Il va s'asseoir sur un banc de la place. Allume une
cigarette. Il écarte les jambes, laisse ses bras tomber entre ses
genoux, regarde quelque chose à ses pieds.
Ou ne regarde pas.
Le
manège tourne toujours. Les enfants crient de joie et la brume flotte
devant leur bouche, le vent soulève leurs cheveux, je pense à deux
choses : ces enfants pourraient avoir une otite. Et aussi : je pourrais
m'approcher de l'homme assis sur le banc et partir avec lui.
Encore une fois.
Mais le manège s'arrête, le tour est terminé.
L'homme écrase sa cigarette, quitte le banc pour aider sa fille à
descendre du cheval de bois. Il lève la tête et me voit. Se fige. Son
enfant à bout de bras. Son regard s'agrandit, l'air lui manque. Chloé
s'agrippe à lui, lui tord le cou, tire sur ses épaules, son écharpe.
Je fais un signe de la main. Avant de m'en aller.
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