Je peux dire que je suis entré en bande dessinée grâce à Fred après la lecture de Cythère dans Pif, puis celle de Philémon bien sûr. J'ai eu la chance de le rencontrer à l'âge de 15-16 ans. Il m'a beaucoup aidé à partir de ce moment-là. Fred a ouvert en grand les portes d'une bande dessinée poétique, bizarre et en même temps accessible à tous. J'ai bien conscience qu'on a tendance à employer le mot "poésie" à tort et à travers. Mais le concernant, son œuvre était résolument poétique, comme nulle autre. Quand Philémon traversait une case pour aller dans la suivante, ce n'était pas seulement "inventif" du point de vue du médium, cela servait un récit, un propos. Fred "tapait" dans des rêves et des cauchemars très puissants. Le Manu-Manu peut avoir coin d'une rue.
Je me souviens que Fred avait eu le projet de traverser l'Atlantique sur une planche à dessin. Une idée pareille ne peut que vous donner envie de faire le même métier que lui. J'aimais aussi beaucoup cette capacité qu'il avait de se jeter d'une case à l'autre sans savoir où il retomberait, à la manière d'un trapéziste qui ignore si son partenaire sera là pour s'accrocher à lui. Fred disait souvent qu'il ne faut pas écrire des histoires pour le lecteur, mais pour soi. Se surpendre soi-même est beaucoup plus dur que de surprendre un lecteur.
Fred venait aussi de Hara-Kiri. Il a fédéré autour de lui une partie du dessin de l'après-guerre, incarné par des auteurs comme Bosc ou Chaval. Il a en même temps participé au renouveau de la bande dessinée. Il est l'un des rares auteurs de la génération Pilote à avoir été adoubé par des gens de ma génération. Je le tiens pour un auteur fantastique, au même titre que Lewis Carroll. L'humour en plus. Il aimait dire que ses ancêtres, d'origine grecque, avaient inventé la philosophie quand les nôtres étaient encore dans les arbres.
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En 1959, j'ai gagné à un concours un abonnement à "Pilote", abonnement que j'ai bien sûr reconduit... et c'est en 1966 que grâce à ce journal j'ai connu Philémon... personnage qui a fait partie de notre quotidien... à l'époque où la lecture était au centre de notre vie.. Grâce à l'"outil de survie" qu'était la lampe électrique, nous pouvions lire le soir sous la couverture après l'extinction des feux imposée par les parents...
Rédigé par : YG | 04 avril 2013 à 13:37