Il faisait bon vivre dans cette ville d'Europe de l'Est où le printemps était doux. Tard dans la nuit, Piotr et Maroussia Ermakov s'étaient approchés de leurs fenêtres pour assister à un spectacle unique. À environ trois kilomètres, des couleurs bleues, orange et rouges très vives avaient mordu le ciel. Les voisins étaient unanimes et communiquaient par balcons interposés : le spectacle était magnifique.
Le lendemain, malgré une certaine agitation dans les rues, les enfants continuaient à jouer torse nu dans le parc, à proximité de la grande roue et des auto-tamponneuses. Les paysans vendaient leurs légumes sur la place du marché et les femmes discutaient entre elles, malgré le grondement des hélicoptères et la cacophonie des sirènes perdues au loin. Il s'était passé quelque chose qui n'avait finalement rien d'amusant, là-bas, à l'horizon, mais, même si on en parlait, on s'en souciait peu. Ne leur avait-on pas dit que la ville était aussi sûre que le centre de la place Rouge ? Et puis, il s'agissait juste d'une usine en flammes dont on ne savait pas précisément ce qu'elle fabriquait et dont on ne parlait ni à la radio ni dans la Pravda. Il n'y avait donc pas à s'inquiéter.
Cinq jours plus tard, Andreï Mikhaliov profita du chaos dans lequel sombrait l'Empire soviétique pour pénétrer dans le bâtiment ultra-sécurisé, situé à douze kilomètres du lieu de l'accident et à cent dix kilomètres de Kiev. Autour, la forêt avait brûlé, mais sans la moindre trace de feu. Les troncs, les branches étaient couleur rouille et les feuilles semblaient avoir séché en une fraction de seconde, pareilles à des ailes de papillon grillées par le soleil. Andreï sentait une odeur particulière dans l'atmosphère, mais il était incapable de la définir. Il avait un goût caramélisé dans la bouche, comme si de la matière invisible se déposait sur les plombages de ses dents. Il jeta un oeil à l'instrument qu'il tenait dans la main : l'aiguille était bloquée à son maximum. Il ignorait précisément le temps dont il disposait, mais, parole de chimiste, il fallait agir le plus rapidement possible.
Depuis cette fameuse nuit, aucun chercheur officiel n'avait remis les pieds dans ce bâtiment classé top secret. Les documents et les protocoles étaient restés sur place, derrière les portes blindées et le barrage des gardes prêts à mourir pour le Parti en cas d'intrusion. Andreï avait accès à la plupart des anciennes villes interdites et des sites sensibles d'URSS, où l'on menait des recherches très précises. Il disposait par conséquent des autorisations pour atteindre le niveau le mieux protégé, sept mètres sous terre. Il croisa huit gardes - bien qu'ils fussent à usage unique et remplacés toutes les heures, deux d'entre eux saignaient déjà du nez - et prétexta un ordre de Gorbatchev lui-même. Il respira un grand coup quand il pénétra dans la pièce où s'étaient réunis secrètement les plus illustres biologistes, généticiens et physiciens d'Union soviétique, et où avaient eu lieu les plus terrifiantes expérimentations, auxquelles il avait participé.
"Voilà quelques temps, j'ai accueilli un petit enfant Ukrainien,
par le biais d'une association. Il vivait dans un village proche de
Tchernobyl, son organisme était contaminé au Césium 137, un élément
radioactif lourd. Un mois passé en France, avec de l'air propre et de la
nourriture saine, redonnait à son organisme de l'énergie pour une
année. C'est de ce souvenir poignant, plein d'humanité, que m'est venue
l'idée fondatrice d'Atomka. A travers ce thriller, par le biais d'une
solide enquête policière, j'ai voulu montrer que Tchernobyl n'était pas
juste un point dans l'espace et le temps, mais une réalité. Le drame de
Fukushima, survenu lors de la rédaction de ce roman, n'a fait qu'appuyer
ma démonstration.
Un autre thème qui m'intéressait était cette
subtile frontière entre le moment où la vie s'arrête et celui où
commence la mort. Lorsque tous les tracés sont plats, que la mort
somatique est bien présente, les cellules, elles, continuent à vivre : 5
minutes pour celles du cerveau, 15 minutes pour celles du coeur, 30
minutes pour celles du foie... Et si, dans ce court laps de temps, le
retour à la vie était possible ?
Je vous invite à plonger dans ce
roman où le suspense est le maître mot et qui, néanmoins, lèvera chez
vous, mes chers lecteurs, un tas d'interrogations sur la réalité de
notre monde." Franck Thilliez
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