L'anthropologue Claude Lévi-Strauss est décédé à l'âge de 100 ans
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TRISTES TROPIQUES
"Je hais les voyages et les explorateurs" : la première phrase de Tristes tropiques donne le ton. Claude Lévi-Strauss, philosophe de formation, n'est ni un marchand d'exotisme ni un amateur d'anecdotes ; la longue confession qu'il nous livre ici relate l'histoire d'une conversion à l'ethnologie. Quelle est cette étrange passion pour l'altérité qui pousse un jeune homme, tout frais émoulu de l'université, à abandonner son "chez soi" pour aller s'immerger dans celui des autres ? Au-delà des pittoresques récits de voyages au Brésil mais aussi aux Antilles et en Asie, les chapitres sont hantés par cette interrogation sur l'exil volontaire et sur la solitude du voyageur au milieu d'autres peuples.
Réflexion sur le pouvoir et l'écriture, sur l'irréversibilité du temps qui emporte avec lui, aidé par l'Occident, des civilisations entières, sur le dur métier d'ethnologue... le domaine d'investigation de l'ouvrage est vaste. Le regard de Lévi-Strauss est sans concession mais jamais désabusé ni amer. La passion pour la vérité fait la force de l'explorateur intérieur. -- E. Balturi -- Pourquoi et comment devient-on ethnologue ? Comment les aventures de l'explorateur et les recherches du savant s'intègrent-elles et forment-elles l'expérience propre à l'ethnologue ? C'est à ces questions que l'auteur, philosophe et moraliste autant qu' ethnographe, s'est efforcé de répondre en confrontant ses souvenirs parfois anciens, et se rapportant aussi bien à l'Asie qu'à l'Amérique.
Plus encore qu'un livre de voyage, il s'agit cette fois d'un livre sur le voyage. Sans renoncer aux détails pittoresques offerts par les sociétés indigènes du Brésil central, dont il a partagé l'existence et qui comptent parmi les plus primitives du globe, l'auteur entreprend, au cours d'une autobiographie intellectuelle, de situer celle-ci dans une perspective plus vaste : rapports entre l'Ancien et le Nouveau Monde ; place de l'homme dans la nature ; sens de la civilisation et du progrès. Claude Lévi-Strauss souhaite ainsi renouer avec la tradition du "voyage philosophique" illustrée par la littérature depuis le XVIe siècle jusqu'au milieu du XIXe siècle, c'est-à-dire avant qu'une austérité scientifique mal comprise d'une part, le goût impudique du sensationnel de l'autre n'aient fait oublier qu'on court le monde, d'abord, à la recherche de soi.
C'est bien du genre de ce grand homme, d'avoir fait en sorte de "prendre congé" aussi discrètement.
Il sera long, le temps qui nous sépare du moment où un humaniste d'une telle stature réapparaîtra.
Je peux attester qu'au Brésil, le retentissement lié à cette disparition est immense. Nous avons, en France, tant de faux intellectuels germanopratains que nous oublions nos vrais hommes de culture.
Rédigé par : benjamin | 08 novembre 2009 à 15:14