VOYAGE AU PAYS DU COTON
ERIK ORSENNA
Essai
Editions FAYARD
.
Les matières premières sont les cadeaux que nous fait la Terre. Cadeaux
enfouis ou cadeaux visibles. Cadeaux fossiles, cadeaux miniers qui, un
jour, s'épuiseront. Ou cadeaux botaniques que le soleil et l'activité
de l'homme, chaque année, renouvellent.
Les matières premières sont des
cadeaux qui parlent. Il suffit d'écouter. Elles nous chuchotent toutes
sortes d'histoires à l'oreilles : il était une fois..., dit le pétrole,
il était une fois..., dit le blé.
Chaque matière première est un
univers, avec sa mythologie, sa langue, ses guerres, ses villes, ses
habitants : les bons, les méchants et les hauts en couleurs. Et chaque
matière première, en se racontant, raconte à sa manière la planète.
Cette histoire commence dans la nuit des temps. Un homme qui passe
remarque un arbuste dont les branches se terminent par des flocons
blancs. On peut imaginer qu'il approche la main. L'espèce humaine vient
de faire connaissance avec la douceur du coton.
Le coton est le porc de
la botanique : chez lui, tout est bon à prendre. Donc tout est pris.
D'abord, on récupère le plus précieux : les fibres. Ce sont ces longs
fils blancs, formant les flocons qui entourent les graines. Des
machines vont les en séparer. Les fibres du coton sont douces, souples
et pourtant solides. Elles résistent à l'eau et à l'humidité. Elles ne
s'offusquent pas de nos transpirations. Sans grogner, elles acceptent
d'être mille fois lavées, mille et une fois repassées. Elles prennent
comme personne la teinture, et la gardent... La longue liste de ces
qualités a découragé les matières naturelles concurrentes, animales et
végétales. La laine et le lin ne représentent plus rien.
Si la fibre
synthétique domine le marché du textile (soixante pour cent), le coton
résiste (quarante pour cent). Et c'est ainsi que le coton vêt l'espèce
humaine..
Voyager, c'est
glaner. Une fois revenu, on ouvre son panier. Et ne pas s'inquiéter
s'il paraît vide. La plupart des glanures ne sont pas visibles : ce
sont des mécomptes ou des émerveillements, des parfums, des musiques,
des visages, des paysages. Et des histoires. La longue, si longue et si
belle route du coton n'en fut pas avare. Sur cinq continents (en
comptant pour deux le Nord et le Sud de la même Amérique), de Koutiala
(Mali) à Lubbock (Texas), en passant par Alexandrie (Egypte), Cuiaba
(Mato Grosso), Boukhara (Ouzbékistan), Lépange-sur-Vologne (France) et
Datang (Chine, province du Zhejiang), la fibre douce a livré bien des
secrets. Au XVIIIème siècle, sitôt retrouvée la terre natale, les
navigateurs plantaient les végétaux collectés aux quatre coins du globe
dans un jardin dit "des retours". Me voilà, moi aussi, en Bretagne, à
l'heure du jardin. Le panier plein, non de graines, mais d'histoires.
Lesquelles retenir, parmi toutes celles entendues ? Elles volètent et
piaffent, toutes mes histoires de coton, telle une bande d'enfants dont
chacun veut être le préféré.
"A Datang, au sud de Shanghai, douze à
treize mille entreprises familiales, aidées par les crédits encouragés
par l'Etat, tissent, repassent, exportent des chaussettes. Horaires:
douze heures par jour, sept jours sur sept. Salaire: cent euros par
mois, nourri et logé (en dortoir). Les chiffres de la production
donnent le vertige: des milliards chaque année, «jusqu'à douter que
l'humanité ait assez de pieds pour enfiler autant de chaussettes». Le
voyage s'achève dans les vallées des Vosges, en interrogeant les
patrons des entreprises textiles qui s'efforcent de survivre. Pour
combien de temps ? Le voyage d'Erik Orsenna est riche d'enseignements.
Ce livre est passionnant. Il est surtout terrifiant."
Jean-Michel Barrault - Lire, juillet 2006
Vient de paraître: La révolte des accents
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