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La barbarie nazie vue sous l'angle d'un bourreau ordinaire, il fallait oser. Et Littell pourtant anglophone d'origine, a écrit en français, dépeignant les actes et les états d'âme d'une personnalité particulièrement complexe, tourmentée, prise dans l'étau de la machine nazie et empêtrée dans ses contradictions. Psychopathe? Peut être, mais ce n'est pas certain.
Si j'en parle avec un peu de retard, c'est qu'il s'agit d'un monument de 900 pages d'une densité inouïe qu'on ne peut lire que très lentement pour en assimiler le contenu, d'une richesse rare. Il m'a donc fallu un mois pour en venir à bout.
On a glosé sur l'invraisemblance du personnage: un demi-français, homme particulièrement cultivé de surcroît, qui serait membre du SD, directement rattaché à Himmler, "ça ne peut pas avoir été", dans le système nazi.
Et alors? A partir du moment où Littell se situe dans le cadre romanesque et non dans celui de l'investigation historique, quelle importance? Imagine-t-on un être frustre sans la moindre culture capable d'analyser de l'intérieur le mécanisme implacable de la machine nazie? En revanche, le travail de recherche pour replacer l'intrigue dans un contexte de véracité historique et d'authenticité est inouï. L'auteur domine son sujet d'une manière encyclopédique.
On a également ricané sur une dizaine d'approximations d'ordre linguistique (quelques anglicismes à peine perceptibles; il faudrait être du niveau des participants au blog langue sauce piquante pour qu'elles frappent aux yeux!). D'abord, ça se saurait si nos écrivains français contemporains "pur jus" rédigeaient dans la dévotion de la langue française: n'est pas Flaubert qui veut. Et sur 900 pages...
En revanche, je me répète, on ne le prendra pas en flagrant délit d'inexactitude sur le plan historique, sur l'analyse psychologique de certains personnages (Eichmann en particulier: manifestement les minutes de son procès ont été étudiées avec grand soin)
Et pour avoir lu de nombreux auteurs allemands (en traduction), il me semble bien que l'atmosphère, le parler germain sont évoqués avec fidélité.
Et il y a des moments de bravoure littéraire, des scènes d'anthologie. Il faut avoir vécu soi-même un coma pour apprécier à sa juste valeur la rencontre dans un rêve surréaliste mêlant "le professeur Sardine et son dirigeable", qui a germé dans le délire d'Aue; on appréciera également les descriptions au scalpel de la négation du crime familial dans lequel il est mêlé, de son enfance glauque, des maux psychosomatiques qui l'assaillent dans les périodes dures de son travail (malgré sa bonne conscience: "il ne fait que son devoir"), des déviations sexuelles du "héros" et enfin de sa lente mais inexorable descente vers la folie totale.
Stalingrad, raconté avec un talent inouï, de même que l'invasion de l'Allemagne par les Russes. Scènes d'anthologie avec ces enfants soldats qui ramènent la barbarie de sa Majesté des mouches (Golding) au rang d'une aimable bluette.
Bref: un livre immense.
Pour conclure: un livre remarquable mais exigeant; à lire, à offrir.
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